Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 56.djvu/167

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Salonique une bien curieuse anecdote de ce genre. Il y a quelques années, un paysan de Macédoine découvrit des monnaies d’argent de Chalcis. Le secret s’ébruita, et le gouvernement donna l’ordre de confisquer la trouvaille. Mais les marchands de Salonique, qui ont presque la spécialité des monnaies fausses dont ils inondent l’Orient, réussirent à devancer les autorités ; ils donnèrent au paysan des pièces de leur façon en échange de celles qu’il avait trouvées, et lorsque l’envoyé du pacha vint opérer la confiscation, il reçut le nombre exact de monnaies qu’il était chargé de saisir. Le tour a dû être joué plusieurs fois, à en juger par le grand nombre de monnaies fausses qui remplissent les armoires du musée impérial.

Lorsque le gouvernement grec confisque des antiquités, il les expose plus ou moins mal, mais du moins il les met à l’abri. En Turquie, les mutilations sont continuelles jusqu’à ce que l’objet arrive à Constantinople, et souvent, faute de fonds, il est oublié en chemin. J’ai vu briser dernièrement, dans leur transfert au konak de Smyrne, deux magnifiques sarcophages en terre cuite ornés de peintures du VIe siècle qu’un paysan avait découverts à Clazomène et dont le gouvernement s’était emparé. Ces objets sont trop lourds pour être transportés à Constantinople, dont le musée manque d’argent pour payer le transfert, et s’ils sont relativement en sécurité à Smyrne, c’est grâce à l’intelligence d’un gouverneur. En toute autre ville, on les eût abandonnés sans scrupule aux coups de pierre des gamins.

Si, au lieu de confisquer des objets dont il ne sait ensuite que faire, le gouvernement turc se contentait de faire recueillir par un de ses avisos les sculptures éparses sur la côte de l’Anatolie, il rendrait un véritable service à la science et enrichirait son musée sans bourse délier. J’ai déjà appelé sans succès l’attention des autorités ottomanes sur la malheureuse frise du temple de Bacchus à Téos, que j’ai vue en 1880 servir de cible aux petits Turcs. Ces bas-reliefs sont étendus sur le sol à vingt minutes de marche de la mer et le transport en serait des plus aisés. Je leur ai signalé aussi la frise du temple d’Esculape à Cos, encastrée dans les murs de la citadelle turque de cette île, et qui serait un des joyaux du musée de Constantinople si l’on se donnait la peine de l’y envoyer. Quelques beaux sarcophages à Salonique servent d’abreuvoirs ou de marchepieds dans les casernes. On pourrait multiplier à l’infini ces indications. Si le gouvernement turc avait réellement quelque intérêt, — et nous croyons qu’il n’en a aucun, — à former une collection d’antiquités grecques, il suffirait à ses gouverneurs de provinces de se baisser pour en recueillir[1].

  1. Quelques-uns en recueillent, notamment le gouverneur de la Crète; mais ce n’est pas pour le musée impérial. La loi de 1874 n’est pas faite pour un aussi grand personnage.