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sont encore les soupçons bizarres du gouvernement turc. L’Angleterre entretient en Asie-Mineure un consul militaire qui, depuis quelques années, a parcouru l’intérieur du pays en mesurant des monumens antiques. Les Turcs se sont persuadés en l’observant que l’archéologie n’était qu’un prétexte et que les prétendus archéologues de l’Europe ne faisaient qu’opérer des relevés stratégiques. Au mois d’août 1882, ils ont interdit à M. Schliemann, qui fouillait de nouveau à Hissarlik, de dresser la carte de la plaine de Troie, par la raison qu’au cours de ce travail il aurait pu dessiner en même temps le fort de Koum-Kalé, à l’entrée des Dardanelles. Un mois après, ils faisaient arrêter en Paphlagonie un archéologue allemand bien connu, M. Gustave Hirschfeld. Aux représentations qui furent adressées à la Porte, elle répondit par une circulaire notifiant aux gouverneurs « que tout individu voyageant sous prétexte d’archéologie et prenant des mesures devait être considéré désormais comme espion russe, » Si cette menace était prise à la lettre, l’exploration topographique de l’Asie-Mineure, à laquelle le gouvernement turc doit les seules bonnes cartes qu’il possède, subirait un temps d’arrêt des plus fâcheux. Il y a trop d’hommes intelligens à la Sublime-Porte pour qu’elle veuille faire de l’intérieur de l’Anatolie un pays aussi inaccessible que la Chine.


V.

Le premier essai d’un musée d’antiquités à Constantinople est du à l’initiative d’un militaire, Ahmed Fethi-Pacha, qui commença vers 1855 à réunir des antiquités dans une salle et dans la cour de l’arsenal de Sainte-Irène. Après des vicissitudes de tout genre, cette collection, longtemps presque inaccessible, a été réorganisée et ouverte au public en 1882 dans la charmante construction du XVe siècle appelée Tchinly-Kiosk (le kiosque aux faïences). Il ne m’est guère permis de faire l’éloge de cette réorganisation à cause de la part que j’y ai prise ; mais il est facile de voir que le nouveau musée, disposé dans des salles bien éclairées, pourvu d’un catalogue en français dont la rédaction m’a coûté quelque peine, est fort supérieur comme installation et comme classement aux musées d’Athènes, qui sont cependant plus riches. On conçoit d’ailleurs que le Turcs pénètrent rarement dans cette collection et ne voient même pas sans un déplaisir assez légitime que l’on dépense de l’argent pour entretenir des statues.

Il n’y a pas de musées provinciaux en Turquie. Les objets qu’on ne transporte pas à Constantinople restent en place ou à la porte des konaks et se détériorent rapidement. Midhat-Pacha, lorsqu’il était gouverneur de Smyrne, avait formé le projet de réunir dans