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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 56.djvu/214

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bond ou de volée, que nous en chaut-il, pourvu que nous prenions la ville de gloire? » En attendant, ils exercent un regrettable empire sur beaucoup de députés d’humeur plus modérée, qui craindraient en leur résistant de se faire traiter de feuillans ou de modérantistes, et en mainte rencontre on a pu reconnaître qu’ils avaient l’oreille de la chambre. S’avise-t-elle d’être sage, s’occupe-t-elle de faire de bonnes lois ou de préparer une réforme utile, lui arrive-t-il de se souvenir que la politique n’est pas tout, que les peuples vivent de pain et d’honneur, ces ennemis de son repos et du nôtre font bien vite surgir un incident, ils portent à la tribune quelque proposition oiseuse, inopportune ou saugrenue, quelque thèse de mysticisme révolutionnaire, quelque commérage, quelque délation, et ils s’écrient, comme le capucin qui agitait son crucifix : Ecco il vero pulcinella ! Sur quoi, délaissant les affaires sérieuses, la chambre court aux marionnettes.

Proudhon a fait un jour un portrait peu flatté de la nation française. Il comptait parmi les défauts qui nous font le plus de tort « des préjugés vivaces, une éducation superficielle, de romanesques légendes en guise d’instruction historique, des modes plutôt que des coutumes, une niaiserie proverbiale qui servait déjà, il y a dix-huit siècles, la fortune de César autant que le courage de ses légions, une légèreté qui trahit l’enfantillage, le goût des parades et l’entrain des manifestations tenant lieu d’esprit public, l’admiration de la force et le culte de l’audace suppléant au respect de la justice. » Sa conclusion était que la France, qui a déjà accompli de si grandes choses est encore la plus jeune de toutes les nations civilisées et qu’elle n’a pas atteint sa majorité.

La France a le droit de ne pas se reconnaître dans ce portrait et d’infirmer ce jugement. Elle a prouvé plus d’une fois, depuis douze ans, qu’elle était plus sage, plus soucieuse de ses vrais intérêts, plus mûre d’esprit que beaucoup de ses gouvernans. Son tort est de n’apporter à ses affaires qu’une attention intermittente et d’accorder trop facilement sa confiance à des politiciens de hasard, dont la légèreté, comme le disait Proudhon, trahit souvent l’enfantillage. Est-il permis d’espérer que nos députés se dégoûteront du vero pulcinella et qu’ils le feront rentrer dans sa boîte? Peut-on se flatter que la chambre se lassera de travailler pour ses ennemis, de pratiquer une politique d’enfans qui fait au dedans la joie de ceux qui haïssent la république et au dehors le bonheur de ceux qui n’aiment pas la France ?


G. VALBERT.