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En 942, Gisulfe 1er, prince de Salerne, y avait fondé une abbaye de bénédictins dédiée à la sainte-Trinité. Parmi les fils de Tancrède de Hauteville, Drogon reçut la seigneurie de Venosa au premier partage de la Pouille. Quand il eut été assassiné, son corps fut enterré, non à Melfi, mais dans sa ville propre et dans l’abbaye de la Trinité. Ce fut sans doute là ce qui décida Robert Guiscard à y choisir le lieu de sa propre sépulture. Avec l’assentiment du pape Alexandre II, il institua comme abbé un moine normand, Bérenger, fils d’Ernoult, et il dota le monastère de possessions très étendues qu’augmenta encore, en 1093, le grand comte Roger. Un fait donnera l’idée du développement de ces possessions ; dans le catalogue des barons qui, sous le roi Guillaume II, prirent part à l’expédition de terre-sainte, l’abbé de la Sainte-Trinité de Venosa est cité comme ayant fourni trente chevaliers et deux cent trente sergens de ses différens fiefs.

Les bâtimens de l’ancienne abbaye de la Trinité sont situés sur le bord de la pente qui descend vers la Fiumara (ou lumara, suivant la prononciation locale), au nord de la ville, dont les sépare une sorte de vaste esplanade herbue et solitaire, que j’ai vue animée seulement par les moutons que conduisait un berger. De là, on aperçoit par derrière la ville, à l’horizon, la crête dentelée des bords du cratère du Vulture se découpant sur le ciel.

Voici d’abord la grande église inachevée dont Robert Guiscard avait entrepris la construction, en 1065, pour se faire un mausolée digne de sa gloire. Si les travaux avaient été conduits jusqu’à terme, ce serait un édifice de premier ordre. Le plan est entièrement français. Il dessine une croix latine de 70 mètres de longueur totale. La nef principale est bordée de douze énormes colonnes, six de chaque côté, aux chapiteaux à feuillages imités de l’ordre corinthien, d’un beau galbe et d’un travail à la fois ferme et précieux. Par une disposition absolument étrangère à l’architecture Italienne de toutes les époques, et qui provient directement de France, le chœur est entouré de piliers, derrière lesquels un bas-côté continu fournit une circulation tout autour, en donnant accès à trois chapelles absidales. Sous Robert Guiscard, aucun architecte de la Pouille n’avait encore eu le temps de se mettre à l’école des ultramontains; un plan semblable ne peut donc alors avoir été conçu que par un maître constructeur appelé d’au-delà des Alpes comme l’abbé Bérenger lui-même. Au moment où mourut Robert, les travaux du gros œuvre avaient été conduits jusqu’à la naissance des voûtes, et les chapiteaux de la nef sculptés. Interrompue alors, la construction ne fut jamais reprise, et, depuis huit siècles, l’édifice est resté dans le même état. De la vaste église inachevée et