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Paris que nous allons raconter d’après le récit de Hase. Il avait contracté à Iéna, avec un étudiant nommé Erdmann, une de ces amitiés romanesques comme elles étaient de mode à la fin du XVIIIe siècle, et comme Schiller en a tracé l’image poétique dans son Don Carlos. Hase, durant les deux premières années de son expatriation, envoyait à son ami le journal de sa vie : notes rédigées sur le moment, sous l’empire de l’émotion présente, sans aucune préoccupation du public. Cet Erdmann paraît avoir eu pour son propre compte le goût de l’émigration, car il alla plus tard en Russie; il finit par être général russe. Les lettres de Hase, conservées dans sa famille, passèrent de main en main, jusqu’à ce qu’elles furent publiées, il y a deux ans, par une revue allemande[1]. Leur authenticité ne peut faire aucun doute : il suffit d’en lire une demi-page pour en être assuré.

Ces lettres sont charmantes : il y règne un ton de franchise et de gaîté, une exubérance de sève et de jeunesse qui gagnent aussitôt les cœurs. Celui qui les a écrites ne veut point paraître aux yeux de son ami meilleur qu’il n’est, de même qu’il écarte toute fausse modestie. On devine que les Confessions de Rousseau étaient encore fraîches dans la mémoire de tous et qu’involontairement elles servent de modèles. A toutes les pages la chaleur du sentiment, les effusions un peu déclamatoires, l’amour de l’humanité, rappellent l’influence de Jean-Jacques. Autant qu’il sera possible, nous allons maintenant laisser parler Hase lui-même.


Selon les habitudes et les nécessités du temps, il fait son voyage à pied. D’Iéna jusqu’à Paris, on compte de deux cent cinquante à trois cents lieues : cette distance est parcourue par lui en dix-huit jours. Il faut nous représenter notre voyageur comme un jeune homme de taille élevée, droit, fort, la moustache et les cheveux noirs; sur sa figure est répandu un air d’honnêteté qui prévient en sa faveur. Son ami lui avait prédit que, par sa bonne mine, il se tirerait des situations les plus difficiles, et la suite a justifié le présage. Sur son dos, il portait un sac de chaise garni de ses effets; à la ceinture, sans doute pour se garder des mauvaises rencontres, il avait suspendu un grand sabre.

Son ami lui avait fait la conduite le premier jour.


« Eisenach, 1er octobre 1801.

« Tu as voulu m’épargner les momens les plus durs : je t’ai compris et je t’en remercie. Sans attendre, j’ai poursuivi ma route...

« Sur la hauteur, après avoir dépassé Gotha, j’ai rencontré une

  1. Deutsche Rundschau, 1880, 1881.