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émigré rentrant chez lui. Il faisait de son mieux pour soutenir son rôle, jetant autour de lui le plus de mots français qu’il pouvait. La vérité nous oblige à dire qu’il s’en tirait assez mal. Dans la suite de sa vie, M. Hase apprit à parler et surtout à écrire notre langue avec correction, et non sans une certaine élégance académique qui sentait son premier empire ; mais à cette époque, il en était aux élémens. Le désir de briller, joint à la conviction partagée par tout bon Allemand qu’on reconnaît le Français à son manque de respect pour les femmes, lui fait commettre d’assez sottes plaisanteries, qu’il raconte en détail à son ami. Nous donnons le passage suivant parce qu’on y voit la trace d’un talent de croquis qui était assez rare à cette époque.

« — La route me conduisit vers Hanau à travers un magnifique bois de pins: puis je longeai la ville, qui, séparée de moi par la Kinzig, était cachée dans un épais feuillage; je vins tout près de la porte qui conduit à Francfort. Quel spectacle ! j’aurais voulu avoir mille paires d’yeux ! Des élégans en habit bleu, avec des têtes à la Brutus, des jeunes filles à coiffures grecques se drapant dans des châles jaunes, des officiers de recrutement prussiens à panache, des fonctionnaires en habit brun et à hauts toupets. Les carrosses roulaient, et le beau monde de Hanau remplissait la large voie. Je me sentis un peu embarrassé; je n’aime pas à me présenter dans une tenue négligée au milieu d’une société en habits de fête. Mais je me rappelai que, dans le pays de Fulda, j’avais été tenu pour un Français. Bonne ou mauvaise, ma résolution fut bientôt prise. « Bonjour, citoyen ! bonjour, madame ! » criai-je à droite et à gauche, en me donnant l’air le plus assuré que je puis. « Bonjour, citoyen! » répondaient en riant les messieurs et les dames. Cela me donna du courage, et je me permis, — pardonne-moi ce péché ! — à la faveur de mon déguisement quelques petites libertés. Je rattrapai une troupe de jeunes filles, je les regardai hardiment en face et criai à l’une d’elles : « Ah! petite belle, tu as gagné mon cœur ! » La petite belle rougit presque par-dessus les yeux : mon effronterie me fit mal... »

C’est en pays allemand qu’il accomplit cette prouesse. Mais, ajoute-t-il, on est habitué ici à admirer tout ce qui est français.

A mesure qu’il approche de la frontière, tout devient plus beau. « Des vignes à perte de vue, un feuillage d’un vert sombre, et au-dessus de moi le ciel joyeux du Sud ! » C’est des environs de Francfort qu’il est question. En général, Hase parle de la France, où il entre par les provinces du Rhin et par la Lorraine, comme nous parlerions de l’Italie. Ce qui le frappe, c’est la vie en plein air, les gens réunis par groupes devant les maisons, les femmes qui battent le chanvre dans la rue; si vous demandez votre route, aussitôt