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de la circonspection dans les actes. Beaucoup aussi sont rejetés hors des voies modérées par le ressentiment des attaques et des injures que n’a pu leur éviter la sagesse de leur attitude première. Les partis détestent par-dessus tous ceux de leurs adversaires dont ils sont le moins éloignés. A droite comme à gauche, on est prodigue d’outrages et de sarcasmes pour les hommes des centres dès qu’on ne les a pas tout à fait avec soi. On ne leur tient aucun compte des points communs où l’on se rencontre avec eux; on ne leur sait aucun gré de réserver fidèlement ces points communs dans leurs déclarations et dans leurs actes, ou plutôt on y voit un prétexte de plus pour les accuser d’inconsistance ou d’hypocrisie. Il faut des âmes fortement trempées pour se mettre au-dessus de ces injustices. Combien, profondément et sincèrement révoltés de se voir ainsi méconnus, se sont crus autorisés à rompre les derniers liens qui pouvaient subsister entre eux et leurs détracteurs et ont fini par donner raison à ces mêmes attaques dont ils ressentaient d’abord tant d’indignation! J’en connais plus d’un qui s’est laissé entraîner peu à peu dans le camp radical ou dans le camp clérical après avoir hautement et très justement protesté contre l’accusation de radicalisme ou de cléricalisme dont il se voyait poursuivi, ici pour avoir reconnu l’impossibilité d’une restauration monarchique, là pour avoir, au nom de la liberté, défendu les droits de la foi religieuse.


III.

Telles sont les causes générales qui expliquent, et, à certains égards, peuvent excuser le discrédit dont le centre gauche a toujours paru frappé après de passagers triomphes. D’autres causes tiennent à la situation particulière de notre pays.

Tous les pays libres ont, sous des noms divers, leur centre modérateur, comme leurs partis extrêmes. L’Angleterre même, où l’on ne distingue habituellement que deux partis, n’échappe pas à ces subdivisions. Elle a, depuis longtemps, ses radicaux, dont les libéraux n’ont pu refuser l’alliance et auxquels ils accordent aujourd’hui une large part du pouvoir. Elle a eu également de tout temps ses tiers-partis, avec lesquels les whigs et les tories ont dû compter tour à tour. En France, la multiplicité des groupes politiques a été le fait le plus apparent et le plus funeste de notre histoire parlementaire. Cette multiplicité n’est pas seulement l’effet de ce goût pour les factions, que César signalait déjà, il y a dix-neuf cents ans, comme un trait de notre caractère national; elle tient surtout à l’instabilité de nos institutions. La question toujours ouverte de la forme du gouvernement n’a jamais cessé, depuis la révolution, de primer et de compliquer les questions de politique générale sur