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d’ardens libéraux. Les anciens ultras de la restauration ne sont pas moins prompts à revendiquer toutes les libertés après la chute de la monarchie légitime. Sous Louis-Philippe et sous Napoléon III, tous les partisans des régimes déchus ont, sur presque tous les points, une attitude et un langage d’extrême gauche. Les questions religieuses séparent seules les légitimistes de leurs alliés républicains. Sous les deux républiques, l’opposition monarchique arbore le drapeau conservateur; mais elle ne l’arbore pas à la façon des purs conservateurs, pour qui la défense de l’ordre comprend le respect des institutions; ses procédés ont une apparence révolutionnaire, que les défenseurs des institutions républicaines ne manquent pas de signaler aux citoyens sans parti-pris. Cette opposition conservatrice devient d’ailleurs très aisément une opposition ultra-libérale. Si les royalistes ne pactisent pas ouvertement avec les républicains d’extrême gauche, comme ils le faisaient sans scrupule sous les princes qu’ils qualifiaient d’usurpateurs, ils se rencontrent sans cesse avec eux, non-seulement dans les mêmes attaques contre tous les ministères, mais dans les mêmes efforts en faveur de certaines propositions du plus pur radicalisme[1]. Les extrêmes de gauche peuvent impunément s’allier avec les extrêmes de droite. Ils sont trop opposés d’idées et d’espérances pour encourir le soupçon d’une entente durable. Entre les modérés des deux côtés, une simple rencontre dans les votes prend tout de suite l’apparence d’une trahison. Apparence dangereuse, alors même qu’il n’y aurait entre les partis que la divergence des vues politiques sous un même gouvernement; apparence insupportable aux consciences les plus honnêtes, quand elles peuvent être accusées de trahir, non-seulement leur parti, mais le gouvernement même dont elles ont embrassé la cause par conviction et par patriotisme. « Toutes vos opinions sont les miennes, écrivait à M. Jules Simon un ancien ami ; mais vous êtes en dissidence avec notre commun parti, je ne veux pas être un dissident; je regarderais une dissidence comme une désertion. »

C’est ainsi que les modérés, par un sentiment d’honneur mal entendu, mais tout-puissant sur certaines âmes, ne craignent pas d’abandonner leurs plus chères opinions et de faire violence à leur bon sens, pour ne pas rompre avec des alliés plus ardens et moins sages, dont le concours leur paraît nécessaire, soit pour faire prévaloir une certaine politique, soit pour fonder ou pour conserver un gouvernement. Les modérés de droite n’échappent pas plus que les modérés de gauche à ces défaillances. Le centre droit comme le

  1. Rien de moins conservateur, par exemple, que les votes des députés de la droite dans les discussions des lois sur la presse ou sur les droits de réunion et d’association.