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faites à nous-mêmes. Le plus intransigeant est le premier à exiger des concessions au profit de ses propres opinions, et si elles lui sont refusées, il accuse hautement une obstination aveugle et coupable. La vraie question, pour l’honnêteté politique, n’est pas celle de la légitimité des transactions, mais celle de leurs limites. Faut-il demander ces limites à ce qu’on appelle « les principes absolus, les principes éternels? » M. Jules Simon m’a enseigné, il y aura bientôt quarante ans, la métaphysique et la morale des principes absolus; mais il ne me désavouera pas si je me refuse à reconnaître de tels principes dans l’ordre purement politique. « Périssent les colonies plutôt qu’un principe! » n’est pas plus le langage du philosophe que celui de l’homme d’état : c’est le cri du fanatisme. Ce qui réglera la conduite de l’homme politique et lui marquera le point où il doit s’arrêter dans la voie des concessions, ce sont des considérations de justice et de sagesse qui dépendent surtout de l’expérience des hommes et des choses, éclairée par un esprit sensé et par une conscience droite.

Est-il si difficile, pour un homme de bonne foi, de résoudre par de telles considérations les principales questions qui, dans ces derniers temps, ont servi d’aliment aux passions des partis?

Il n’y a aucune injustice à refuser absolument ou à n’accorder que dans d’étroites limites la consécration d’un droit qui n’a pas encore trouvé place dans les lois ; mais il y a une véritable spoliation à supprimer, même par une loi, l’exercice d’un droit qui a reçu depuis longtemps l’existence légale et a donné naissance, sous le bénéfice des garanties qui le protègent, à des intérêts considérables de l’ordre matériel et de l’ordre moral. C’est une souveraine iniquité, par exemple, de fermer des établissemens qui se sont créés au nom de la liberté légale de l’enseignement et qui sont également respectables par les idées ou par les sentimens qu’ils représentent et par tous les actes de droit civil qui ont concouru à leur fondation et à leur développement.

Il n’est ni injuste ni impolitique d’opposer une digue aux empiétemens du clergé; mais une guerre défensive est seule légitime. Rien ne saurait autoriser une série d’agressions dirigées successivement, d’abord contre les congrégations non autorisées, puis contre les congrégations autorisées elles-mêmes, dans les écoles et dans les hôpitaux, puis contre le recrutement du clergé tout entier par l’obligation du service militaire et par la suppression des bourses ecclésiastiques, puis contre le culte lui-même, dont les emblèmes sont proscrits des écoles, des tribunaux, des cimetières, ou sont ailleurs l’objet d’actes impunis de vandalisme, et enfin contre ces principes mêmes de religion naturelle qui étaient restés jusqu’à