chose, et qui donc s’avise de s’indigner contre ce marché ? Un journal est un outil de finance, et le commerce des outils est libre. Mais si l’on regarde de quelle sorte l’outil est manié, c’est alors qu’on admirera combien la vue de M. Augier fut nette et perçante. Qu’est-ce que Vernouillet auprès de nos faiseurs d’émissions ? Il demande 65,500 francs pour compléter son million ; des chiffres si faibles nous mettraient en défiance. Qu’il élève son capital de 1 million à 30 et de 30 à 120, à la bonne heure ! Son coffre-fort nous fait l’effet du petit coffre-fort de Fanfan Benoîton. Aussi bien ses manœuvres, si nous en connaissions le détail, nous paraîtraient enfantillages ; depuis vingt-deux ans, depuis douze ans, depuis deux ans, on nous a fait voir d’autres tours. Qui se douterait qu’à moins d’un quart de siècle en arrière, ce portrait du financier a passé pour calomnieux ? Il s’est justifié depuis. Et la figure de Giboyer ! Quelle clameur s’est élevée, en 1861, contre cette caricature ! Où trouverait-on ce pamphlétaire pour écrire contre ses idées ? Où trouverait-on cet ouvrier de scandale pour décrier une femme dans sa chronique et déshonorer une famille ? Sans doute, on l’a trouvé ; car cette peinture, l’autre soir, n’a paru surprendre personne. Giboyer avait un assortiment d’anecdotes « pour molester une grande dame ; » il n’en avait publié qu’une : combien d’entrepreneurs de chantage en ont donné la suite !
Ainsi, parmi les voies nouvelles dont l’auteur des Effrontés, en 1861, avait démasqué l’entrée, — que nous regardions le grand chemin où se tiennent les voleurs ou bien les sentiers de traverse que suivent leurs complices, nous voyons que partout le vice a fait des progrès. Ces voies alors découvertes, et dont beaucoup niaient l’existence, sont reconnues et même classées : on ne songe guère à les boucher. Le public ne peut les ignorer : elles sont entretenues à ses frais ! « Vous connaissez Vernouillet ? » demande Sergine à la marquise d’Auberive, et la marquise lui répond : « J’ai payé pour le connaître. » Le public, depuis vingt-deux ans, a fait comme la marquise : il a payé pour connaître Vernouillet, pour connaître Giboyer, et combien d’autres ! C’est bien le moins qu’à présent il soit unanime à les reconnaître. Il s’était divisé sur cette question : le mal est-il imaginaire ou réel ? Il n’a plus qu’une voix là-dessus. Reste à savoir s’il est encore divisé sur le remède. Il ne l’est plus, mais par une raison contraire : tous s’accordent à penser que, si le mal est réel, le remède est chimérique, et l’auteur lui-même, qui ne dit plus mot là-dessus, en convient avec tous.
De quel remède s’agit-il ? Giboyer l’indiquait, et c’était le sujet de la seconde partie du commentaire. « Achevez la révolution de 89 ! s’écriait le socialiste. On a fait table rase des abus ; il reste à reconstruire une société en créant une aristocratie en dehors de l’argent. — Sur quoi la fonderez-vous dans ce pays démocratique ? — Sur le principe même de la démocratie, sur le mérite personnel. » C’est « le règne de l’intel-