Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 56.djvu/469

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pessimisme en quelques points ridicule du marquis d’Auterive. D’autre part, ils tinrent pour suspectes de hâblerie les espérances de Giboyer; son remède leur semblait une panacée d’utopiste, sinon de charlatan. L’ouvrage, d’ailleurs, fut défendu aussi vivement qu’attaqué ; tel applaudit aux promesses de Giboyer, qui n’eût pas le moins perdu à leur accomplissement. Le remède, encore une fois, était-il chimérique ou réel, au moins d’une réalité probable et d’une efficacité prochaine? On était divisé là-dessus encore plus que sur le mal; car sur le mal, au moins, le marquis d’Auberive et Giboyer s’entendaient.

Sur le chimérique du remède, au moins pour de longues années, comme sur la réalité de jour en jour plus manifeste du mal, les événemens ont mis tout le monde ou presque tout le monde d’accord. « Que n’y vas-tu toi-même, en Amérique, pour te guérir une bonne fois de tes chimères? » disait le fils de Giboyer à son père, en 1864, quand son père voulait qu’il passât l’océan pour achever ses études sur la démocratie. Nous y sommes allés en Amérique, ou plutôt l’Amérique est venue chez nous, et nous sommes guéris, trop guéris peut-être des chimères de Giboyer. On a, depuis quelque douze ans, ouvert bien des écoles, si l’on en a fermé quelques-unes; si l’on n’a pas organisé le suffrage universel aussi ingénieusement que le voulait M. Augier, du moins on l’a mis en liberté ; pour grossière que soit sa puissance, elle est absolue : il ne semble pas pourtant que le règne du mérite personnel approche. «Prenez garde, messieurs, disait en 1866 un personnage de la Contagion, Tenancier, qui s’adressait, en même temps qu’à son fils, à tous les petits-fils des hommes de 89, — prenez garde ! nous vivons dans un temps où la stérilité est une abdication. Au-dessous de vous, dans l’ombre et sans bruit, se prépare un nouveau tiers-état qui vous remplacera, comme nos grands-pères ont remplacé la caste dont vous reprenez les erremens, et ce sera justice ! » Est-ce parce que pendant vingt ans, de 1851 à 1870, les « petits-fils des hommes de 89, » avaient « abdiqué » par force au moins le meilleur de leurs droits politiques; est-ce parce qu’ils n’ont pu faire leur éducation d’hommes d’état et se sont trouvés trop faibles, après la chute de l’empire, pour retenir le gouvernement de la nation ? Toujours est-il, qu’en effet, ce « nouveau tiers-état » annoncé par notre auteur a commencé de poindre; un orateur a dit son nom, avec autant d’irrévérence que de bonheur : c’est l’ordre des « sous-vétérinaires. » Est-ce donc là, ô Giboyer, ton « aristocratie de l’intelligence? »

Tous, depuis douze ans, à l’exception des hallucinés, nous avons vu disparaître à l’horizon l’eldorado de nos rêves politiques. Doit-il reparaître un jour? Ce jour n’est pas prochain. M. Augier lui-même, qui a de bons yeux, nous le savons, n’aperçoit plus cette terre promise. Il en convient facilement, et comment ferait-il difficulté d’en convenir? Même dans cette brochure que j’ai citée, la Question électorale, il le