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aussi son « tribunal populaire » chargé de prononcer des sentences, de châtier « les crimes de la bourgeoisie, » de décider les représailles à exercer contre les propriétés aussi bien que contre les personnes. En un mot, c’est une organisation aussi complète que celle du nihilisme russe, et la « Main noire » espagnole ne s’en tient pas à la théorie, elle a passé à l’exécution. Dans ces contrées de Jerez, d’Arcos de la Frontera, d’Ubrique, où elle a ses principaux foyers, d’où elle étend son action dans les provinces environnantes, elle s’est déjà manifestée par des actes terribles. Elle a poussé ses séides au meurtre, elle a ordonné des assassinats et des pillages qui ont été exécutés. C’est alors qu’elle a été saisie par la justice, qui la surveillait depuis quelque temps, et même en ce moment, où elle est énergiquement poursuivie de toutes parts, où quelques-uns de ses chefs ont été arrêtés, où l’on a fait déjà des centaines de prisonniers, elle semble se débattre encore. Elle emploie tous les moyens pour intimider les juges, les autorités locales, les alcades. Elle menaçait récemment par des lettres anonymes d’empoisonner les eaux d’une ville. C’est une guerre étrange engagée en pleine civilisation, et on conçoit aisément l’état de terreur dans lequel vit la population paisible de ces provinces menacée dans ses biens comme dans son existence. Si cet état devait se prolonger, ainsi qu’on le disait dernièrement à Madrid, on en reviendrait bientôt au moyen âge, aux temps où il ne restait plus aux habitans des campagnes qu’à s’enfermer dans leurs châteaux ou dans leurs maisons comme dans des forteresses pour se défendre à main armée contre toutes les agressions.

C’est là évidemment une situation violente à laquelle le gouvernement de Madrid, pour son intérêt comme pour son honneur, doit se hâter de mettre fin en rétablissant le plus tôt possible, le plus complètement possible, la sécurité sociale en Andalousie. Peut-être s’est-il laissé un peu surprendre et a-t-il mis une certaine lenteur à réprimer une agitation dont les premiers symptômes lui avaient été signalés il y a quelques mois déjà. Aujourd’hui tout le monde lui demande des mesures énergiques pour rendre la paix, la confiance a une des plus belles provinces de la péninsule, et il est bien clair qu’il ne peut hésiter dans l’œuvre de répression qu’il a commencée, que ses représentans en Andalousie poursuivent courageusement. La difficulté la plus grave n’est peut-être pas là d’ailleurs. La répression matérielle peut être prompte, suffisante pour le moment; la question de l’état général de l’Andalousie et même des autres provinces espagnoles envahies ou menacées par le socialisme ne subsiste pas moins. A part l’intérêt d’ordre public à sauvegarder avant tout, il y a certainement pour les chambres et pour le gouvernement de Madrid une sorte de nécessité de prévoyance, une obligation de s’occuper d’une situation qui peut se prêter à de tels phénomènes d’anarchie, de chercher à moraliser ce