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Château-Regnault, qui n’est qu’à huit lieues de Rocroy ; peut-être a-t-il déjà dépassé la Meuse ; qu’il presse la marche de ses troupes et que de sa personne, il vienne au plus vite, il pourra être au camp dans la nuit. Melo a la conscience de ce qui lui manque : l’instinct et la connaissance de la tactique, l’habitude du terrain ; il juge aussi que Fontaine est insuffisant pour le compléter. C’est un excellent soldat, un de ces hommes qui se cramponnent à une position et qu’on ne déloge pas sans les tuer ; il marchera sans vaciller sur le point de direction qui lui sera indiqué ; mais il veut toujours avoir toutes ses troupes dans la main ; il est infirme et ne prendra pas l’initiative d’une attaque. Quant à Beck, il a l’ardeur, la passion, c’est lui qui a conduit le combat à Honnecourt ; Melo s’en souvient et ne veut rien entreprendre sans avoir auprès de lui ce hardi lieutenant.

Cependant les exprès venant des grand’gardes se succèdent au quartier-général ; les cavaliers français, disent-ils, deviennent plus nombreux ; on voit des hommes à pied poindre hors des taillis. Courriers sur courriers sont envoyés à Beck. Mais bientôt il n’est plus temps d’attendre ce général, ni même de réunir en conseil les officiers qui sont sur les lieux. Déjà le duc d’Albuquerque a dû faire sonner le boute-selle dans les campemens de la cavalerie ; les grands’gardes reculent lentement, refoulées par un ennemi qui grossit toujours. Il faut faire prendre les armes à tout le monde avant le commencement de la sieste, qui était alors pour l’armée espagnole ce que les repas à heures fixes ont été pour d’autres dans des temps plus modernes. Ordre est donné de suspendre les travaux, de désarmer les batteries, de diriger les pièces et les troupes sur la place d’armes ; on laissera des postes d’infanterie pour garder les tranchées, des détachemens de cavalerie pour surveiller les avenues et repousser les partis qui essaieraient de se glisser jusqu’aux portes de la place. Le capitaine-général, accompagné de ses principaux officiers, le comte de Fontaine, mestre de camp général, le comte d’Isembourg, chef de l’armée d’Alsace, le duc d’Albuquerque commandant la cavalerie, et don Alvaro Melo, général d’artillerie, va observer les mouvemens de l’ennemi et déterminer la ligne de bataille qu’il fera prendre à ses troupes.

Le front de bandière reconnu et indiqué dès le début du siège comme lieu de rassemblement est au sud de Rocroy, à environ 1,000 ou 1,200 mètres du pied des glacis, orienté du nord-ouest au sud-est et faisant face à Maubert-Fontaine. Devant la droite (côté nord-ouest), le terrain s’abaisse doucement jusqu’à un petit étang aux bords marécageux, qui est un des réservoirs de l’Eau-Noire. Le centre et la gauche s’étendent sur la croupe qui sépare les affluons de l’Oise et ceux de la Meuse. De ce côté (sud-est), le niveau