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par leur grand cœur, mirent à exécution au milieu des difficultés que j’ai dites.

Les soins donnés aux vieillards attiraient les vieillards, mais le dévoûment des sœurs attira de nouvelles infirmières ; la petite communauté s’accrut ; de jeunes femmes, des ouvrières vinrent prendre leur part des travaux ; le nombre des quêteuses fut augmenté, en même temps que fut diminué le nombre des indigens attribué à chacune des sœurs. L’œuvre prospérait ; selon l’expression d’un mémoire que j’ai eu en mains, « la maison s’était dilatée. » Il y a des malheureux ailleurs qu’à Saint-Servan, et de vieux abandonnés autre part que sur les bords de la Rance ; sans sortir du département même, on peut trouver des misères à secourir et du bien à faire : il faut le tenter. L’abbé Le Pailleur se souvint de la ville où il avait fait ses études sacrées ; il se rappela les mendians qui pullulent à Rennes. Ancienne capitale de la duché de Bretagne, vieille ville de parlement, de privilèges et de noblesse, on y trouvera la bienfaisance active, demeurée vivante au milieu des ruines du passé, comme une tradition de famille que l’on n’invoquera pas en vain. Il fit partir Marie-Augustine, que l’on nommait déjà la bonne mère. Ceci se passait en 1846 ; en moins de six ans, l’institution était déjà assez forte pour essayer des fondations nouvelles. Marie-Augustine s’en alla seule à Rennes, qu’elle ne connaissait pas. Son premier soin fut d’y chercher des pauvres, elle en rencontra, car il n’en manquait pas. Dans un faubourg où il y avait plus de cabarets et de guinguettes que d’honnêtes maisons, elle loua un local, sorte de hangar où l’on s’accommoda comme l’on put et qui bientôt fut rempli de vieilles femmes. Pour les soigner, on fit venir quatre sœurs de Saint-Servan. L’œuvre parut intéressante, les aumônes furent larges, et on put s’établir dans une maison située au milieu d’un quartier moins tapageur. Il se produisit alors un fait touchant : les soldats, les désœuvrés, les ivrognes qui fréquentaient les tripots près desquels Marie-Augustine avait fondé son premier asile, voulurent faire eux-mêmes le déménagement ; ils emportèrent les paillasses, les bois de lit, la batterie de cuisine, les vieilles femmes et les vieux hommes, et plus d’un, en disant adieu aux Petites-Sœurs, laissa entre leurs mains le sou, — le petit sou, — réservé pour le cabaret.

La maison de Rennes était ouverte ; elle fonctionnait et trouvait dans la charité bretonne de quoi subvenir aux besoins les plus pressans. Marie-Augustine partit pour Dinan, où elle était appelée par un maire ingénieux, qui rêvait de doter sa ville d’un hospice de vieillards sans bourse délier. Il n’avait pas trop mal raisonne en s’adressant aux Petites-Sœurs des Pauvres, qui acceptèrent sans hésiter (1846). La ville de Dinan fit cependant les choses avec