Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 56.djvu/543

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Pauvres, c’est leur gaité. Le rire s’épanouit sur leurs lèvres comme s’il faisait partie de la règle imposée. L’âme est sereine et la conscience du de voir accompli donne à tout leur être une sorte de placidité satisfaite qui se traduit par un épanouissement intérieur dont le visage est illuminé. Rien ne les trouble, du reste, et quand même les bruits du monde n’expireraient pas au seuil de leur retraite, les occupations sont si multipliées et se succèdent dans un ordre si régulier qu’elles n’ont point le temps de donner une pensée aux choses d’ici-bas. Que leur importent le souci des événemens, la déception des efforts, l’incohérence des faits, la chute des grands hommes et l’avènement des petits ? ont-elles le loisir de songer à ces misères lorsqu’il faut pourvoir aux exigences de la famille dénuée, mal vêtue, affamée, impotente qui sans cesse les implore ? C’est là chaque jour le problème qui se renouvelle et que chaque jour il faut résoudre ; aussi lorsqu’il est résolu, on rend grâce à Dieu et l’on est en repos. Les vieillards ont mangé, ils ont du feu dans le poêle, de bons lits les attendent ; la Providence a fait son œuvre : de quoi pourrait-on s’inquiéter encore ? Et l’on ne s’inquiète de rien.

Pour subvenir aux besoins de tant de pensionnaires, infirmes pour la plupart, un seul moyen : la quête. Nulle maison n’a de revenus, nulle n’a de pension ; on dit : Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien ; rien de plus. Chaque jour doit suffire à la journée. La veille, on ne sait pas comment on mangera le lendemain, mais on sait que l’on mangera et l’on mange. Aumône en nature, aumône en argent, on accepte tout avec gratitude. Je crois, sans pouvoir l’affirmer, — car ce sont là des matières délicates sur lesquelles l’investigation approfondie est difficile, — je crois que les instructions interdisent aux supérieures de garder en caisse plus d’une somme déterminée ; tout ce qui dans la récolte d’un jour dépasserait cette somme doit être expédié à la maison mère, qui en use pour le plus grand bien de l’œuvre générale. Cette règle est-elle absolue, ne souffre-t-elle pas d’exception dans une ville aussi populeuse, aussi « chère » que Paris ? Je l’ignore. Je répète ici ce que j’ai entendu dire et ce que je n’ai pu contrôler.

Tous les jours, de chacune des cinq maisons parisiennes deux sœurs partent en quête ; côte à côte, le capuchon rabattu sur la coiffe, elles glissent au long des trottoirs, munies de la liste des personnes qu’elles doivent visiter. L’itinéraire a été fixé d’avance : elles n’ont d’autre initiative que celle qui leur a été imposée. Métier pénible que celui-là ; ce n’est rien de marcher dans les rues pendant cinq à six heures de suite, mais les maisons sont hautes à Paris, et la charité ne loge pas toujours à l’entre-sol ; parfois, telle quêteuse