Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 56.djvu/60

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

contre eux, s’ils ne viennent pas eux-mêmes s’entasser dans la prison de leur chef-lieu ; peine de mort contre les bannis qui rentrent ; peine de mort contre les receleurs de prêtres[1]. Par suite, faute de clergé orthodoxe, il n’y aura plus de culte orthodoxe ; la plus dangereuse des deux manufactures de superstition est fermée. Afin de mieux arrêter le débit de la vénéneuse denrée, nous punissons ceux qui la demandent comme ceux qui la fournissent, et nous poursuivons ; non-seulement les pasteurs, mais encore les fanatiques du troupeau ; s’ils ne sont pas les auteurs de la rébellion ecclésiastique, ils en sont les l’auteurs et les complices. Or, grâce au schisme, nous les connaissons d’avance et, dans chaque commune, leur liste est faite. Nous appelons fanatiques tous ceux qui repoussent le ministère du prêtre assermenté, les bourgeois qui l’appellent intrus, les religieuses qui ne se confessent pas à lui, les paysans qui ne vont pas à sa messe, les vieilles femmes qui ne baisent pas sa patène, les parens qui ne veulent pas de lui pour baptiser leur nouveau-né. Tous ces gens-là et ceux qui les fréquentent, proches, alliés, amis, hôtes, visiteurs, quels qu’ils soient, hommes ou femmes, sont séditieux dans l’âme et, partant, suspects. Nous leur ôtons leurs droits électoraux, nous les privons de leurs pensions, nous les chargeons de taxes spéciales, nous les internons chez eux, nous les emprisonnons par milliers, nous les guillotinons par centaines : peu à peu le demeurant se découragera et renoncera à pratiquer un culte impraticable[2]. — Restent les tièdes, la foule moutonnière qui tient à ses rites ; elle les prendra où ils seront, et, comme ils sont les mêmes dans l’église autorisée que dans l’église réfractaire, au

  1. Décrets du 27 mai et du 26 août 1792, du 18 mars, du 20 avril et du 20 octobre 1793, du 11 avril et du 11 mai 1794. Ajoutez (Moniteur, XIX, 697) le décret portant confiscation des biens des ecclésiastiques « qui se sont déportés volontairement ou l’ont été nominativement, qui sont reclus comme vieillards ou infirmes, ou qui ont préféré la déportation à la réclusion. » — Ibid., XVIII, 492 (séance du 2 frimaire). Discours de Forestier. « Quant à la prêtrise, la continuation de son exercice est devenue une honte et même un crime. » — Archives nationales, AFII, 36. Arrêté de Lequinio, représentant du peuple dans la Charente-Inférieure, la Vendée et les Deux-Sèvres, Saintes 1er nivôse an II. « Afin que la liberté des cultes existe dans toute la plénitude, il est défendu à qui que ce soit de prêcher ou d’écrire pour favoriser quelque culte ou opinion religieuse que ce puisse être. » Notamment, « il est expressément défendu à tout ci-devant ministre, de quelque culte qu’il soit, de prêcher, écrire ou enseigner la morale, sous peine d’être regardé comme suspect et, comme tel, mis sur-le-champ en état d’arrestation. » « Tout homme qui s’avise de prêcher quelques maximes religieuses que ce puisse être est, par cela seul, coupable envers le peuple. Il viole… l’égalité sociale, qui ce permet pas qu’un individu puisse élever publiquement ses prétentions idéales au-dessus de celles de son voisin. »
  2. Ludovic Sciout, Histoire de la constitution civile du clergé, t. III et IV, passim. Jules Sauzay, Histoire de la persécution révolutionnaire dans le Doubs, t. III, IV, V et VI, notamment la liste des déportés, guillotinés, internés et reclus, à la fin de ces volumes.