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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 56.djvu/624

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empêcher les assaillans, aussitôt qu’une maison était prise, de se mettre à la piller au lieu de continuer à combattre. La défense, au contraire, était d’une rare énergie. Les gens de Pietragalla disputaient aux brigands maison après maison avec un tel acharnement qu’ils leur tuèrent ou blessèrent plus de cent hommes. Mais leurs munitions commençaient à s’épuiser ; ils avaient, de leur côté, bien des morts et des blessés. Déjà la moitié du bourg avait été conquise, pillée et livrée aux flammes. Ses défenseurs allaient succomber sous le nombre, quand tout à coup ils entendirent des sonneries de clairon dans la campagne. À ce bruit ils virent leurs assaillans hésiter, se troubler, puis bientôt se disperser dans toutes les directions comme une volée d’oiseaux pillards sans attendre l’intervention de la troupe qui s’annonçait par ces fanfares.

Cette troupe n’avait pourtant rien de formidable. La population d’Acerenza, du haut de sa montagne, avait pu suivre avec une poignante émotion les péripéties de l’attaque de Pietragalla. La garde nationale s’était rassemblée. Elle ne disposait que d’une centaine d’hommes pour tenter une expédition au secours de ses voisins. Une aussi petite poignée de combattans, en se risquant contre des bandes vingt fois plus nombreuses, n’avait guère d’autre chance que de se faire écraser inutilement. Mais c’étaient des gens de cœur, et coûte que coûte ils avaient résolu de faire leur devoir. Au moment du départ une idée lumineuse traversa l’esprit de leur capitaine. On n’avait que bien peu d’hommes à mettre en ligne ; mais par un heureux hasard il se trouvait à la mairie six vieux clairons. L’officier les fit prendre et chercha des hommes qui sussent en sonner tant bien que mal. Arrivé au fond de la vallée, après avoir descendu en se dissimulant dans les vignes, il divisa sa petite troupe en deux détachemens auxquels il fit prendre des chemins creux qui pussent cacher leur nombre véritable. Et il ordonna, pendant toute l’ascension de la montagne, de faire aller les trompettes à pleins poumons en faisant le plus de tapage possible. Cette ruse de Peau-Rouge était bien naïve ; pourtant elle réussit. Les brigands, au milieu de leur assaut, entendirent derrière eux, dans deux directions, des clairons qui semblaient annoncer l’arrivée de plusieurs compagnies d’infanterie. Ils furent pris de panique. Au lieu de s’exposer en continuant la lutte, ils ne pensèrent plus qu’à mettre en sûreté ce qu’ils avaient déjà pillé, et d’un commun élan ils s’enfuirent à toutes jambes avec leur butin vers les bois de Monticchio et de Lagopesole. Borgès essaya vainement de les ramener au combat ; désespéré, la mort dans l’âme, il fut entraîné dans le torrent de leur fuite, dont Crocco en personne avait donné le signal. C’est ainsi que la garde nationale d’Acerenza délivra ses