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conséquences. Mais cette position n’était pas longtemps tenable pour les libéraux, et le vrai terrain de la lutte se dessina, lorsque, mis au pied du mur, ils firent intervenir dans la controverse l’autorité de la religion naturelle et de la critique historique.

En 1805, l’université de Harvard, qui remontait presque aux premiers temps de la colonisation, mais qui s’était toujours montrée ouverte aux tendances les plus avancées, confia sa chaire de théologie à un ministre libéral, le docteur Ware. « Tous ceux qui ont subi l’influence du docteur Ware, a écrit plus tard un de ses élèves, Ezra Stiles Gannett, n’oublieront jamais la dignité calme, la sagesse pratique, la loyauté délicieuse, la sympathie amicale, qui lui assuraient plus que du respect, une véritable vénération. Cet esprit clair et vigoureux avait horreur de tout compromis avec la vérité comme avec les hommes. » Tel était le théologien qui allait former désormais les ministres de l’église nationale. Les orthodoxes crièrent au scandale et établirent à Andover une école de théologie qui ne devait jamais atteindre à la célébrité de sa rivale. En même temps, ils commencèrent à bâtir des temples pour les exilés volontaires des congrégations libérales, et, là où ils étaient en majorité, comme dans le Connecticut et le New-Hampshire, ils improvisèrent des juridictions ecclésiastiques qui expulsaient de la chaire les ministres libéraux. Une tentative fut même faite pour introduire cette procédure dans le Massachusetts, où le libéralisme avait son quartier-général, mais elle échoua et ne servit qu’à précipiter l’éclosion du schisme.

On était alors en 1815 ; W.-E. Channing avait trente-cinq ans. Il desservait, depuis plus de douze ans déjà, une des paroisses les plus libérales en même temps que les plus fashionables de Boston. Ses antécédens, sa disposition d’esprit, l’ampleur même de sa conception religieuse le prédisposaient à de grands ménagemens pour préserver l’unité historique des vielles congrégations puritaines. Mais une accusation d’hypocrisie que le docteur Morse avait ouvertement lancée à l’adresse des ministres libéraux l’amena à revendiquer hautement la dénomination d’unitaire et bientôt à prendre la tête du mouvement réformateur. Toutefois ce fut seulement quatre années plus tard qu’il prononça à Baltimore le fameux sermon considéré comme le manifeste constitutif de l’unitarisme américain. « Aucun sermon antérieur ou ultérieur, dit un des meilleurs historiens de cette période, M. W.-C Cannett, n’a probablement causé autant de sensation en Amérique. » Après avoir déclaré qu’il acceptait « sans réserve et sans exception » toutes les doctrines clairement enseignées par les écritures, Channing réclamait le droit « d’en chercher le sens de la même manière qu’on le fait pour les autres livres, » c’est-à-dire par l’exercice constant de la