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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 56.djvu/701

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dernier représentant de cette noblesse aux revendications perpétuelles, et qui, toujours insoumise et l’épée au vent, fut l’âme de l’histoire au temps de York et de Lancastre lui-même, ce chevalier du moyen âge, la culture nouvelle l’a pénétré, c’est un érudit, un orateur, un politique. N’importe, voyez-le, au milieu des membres de son parti, se reprendre aux vieux préjugés et conspirer avec les Surrey, les Norfolk, les Abergavenny contre Wolsey, ce moine parvenu, dont la pourpre offusque ses yeux. Fils du Buckingham qui jadis aida Richard III à se saisir de la couronne et par les Beaufort héritier direct des droits des Lancastre, il spécule imprudemment sur l’idée de s’emparer du trône au cas où le roi mourrait sans enfant mâle. Il caresse le peuple, prête l’oreille aux intrigans qui flattent ses rêves de grandeur ; menacé d’arrestation, il répond : « On n’oserait. — Et si on osait, que feriez-vous ? lui demande alors son ami. — Ce que je ferais ? J’obtiendrais alors du roi une audience avant mon exécution, et j’en profiterais pour lui planter mon poignard dans le cœur. »Le malheur veut que ces sortes d’audiences in extremis ne s’accordent jamais, Buckingham n’obtint pas la sienne et marcha droit à l’échafaud ; la scène se trouve dans l’opéra, mais appropriée de façon à n’y produire aucun effet. Ainsi placé « à la cantonade » pour servir de repoussoir aux amoureux roucoulemens d’un Henry VIII à sa colombe, pendant que le Miserere du Trovatore passe dans la rue, le supplice de Buckingham est loin de valoir dramatiquement celui de Manrique. Car, au moins nous le connaissons ce Manrique. C’est le ténor, et sa voix mourante nous charme encore, tandis que le nom de Buckingham, dont nous ne savons rien, n’éveille à cet endroit aucune pitié. Mais nous y reviendrons tout à l’heure ; reprenons Shakspeare.

Au grand seigneur Buckingham il oppose Wolsey, l’homme sorti d’en bas, qui par son mérite s’est élevé aux premiers rangs de l’état et de l’église. Henry VIII, qui l’a reçu de la main de son père, le tient pour infaillible et l’accable de faveurs et de dignités. Ses honneurs, ses richesses ne font qu’alimenter son ambition ; à mesure qu’il s’élève, il tend plus haut, de moins en moins gêné par ses scrupules, corrupteur, fourbe, impitoyable à ses ennemis, moitié renard et moitié loup ; dur à la noblesse qu’il déteste, il s’acharne surtout après Buckingham, l’entoure d’espions, de créatures, de loin préparant sa perte, écarte de la cour ses parens et ses alliés ; le roi lui-même l’embarrasse peu, il passe devant : Ego et rex ! est sa formule officielle dans ses rapports avec les princes. Jusqu’où n’ira-t-il pas ?

Empereur ! empereur ! .. O rage !
Ne pas l’être !


Lui, c’est le trône de Saint-Pierre qui le tente ; il veut être pape et, en attendant, pour mieux dominer son roi, il se fait nommer près de lui légat du saint-siège. Buckingham jeté hors de sa voie, il travaille à se