Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 56.djvu/76

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cercle fermé, le groupe exclusif, l’organisme aristocratique que, sous le nom de famille, l’égoïsme et l’orgueil avaient formé. — Dès lors les affections et les obéissances ne se dispersent plus en frondaisons vagabondes; les mauvais supports auxquels elles s’accrochaient comme des lierres, castes, églises, corporations, provinces, communes ou familles, sont ruinés et rasés; sur le sol nivelé, l’Etat seul reste d» bout et offre seul un point d’attache ; tous ces lierres rampans vont s’enlacer en un seul faisceau autour du grand pilier central.


VIII.

Ne leur permettons pas de s’égarer, conduisons-les, dirigeons les esprits et les âmes, et pour cela enveloppons l’homme de nos doctrines. Il lui faut des idées d’ensemble, avec les pratiques quotidiennes qui en dérivent; il a besoin d’une théorie qui lui explique l’origine et la nature des choses, qui lui assigne sa place et son rôle dans le monde, qui lui enseigne ses devoirs, qui règle sa vie, qui lui fixe ses jours de travail et ses jours de repos, qui s’imprime en lui par des commémorations, des fêtes et des rites, par un catéchisme et un calendrier. Jusqu’ici la puissance chargée de cet emploi a été la religion, interprétée et servie par l’Église; à présent ce sera la raison, interprétée et servie par l’État. — Là-dessus, plusieurs des nôtres, disciples des encyclopédistes, font de la raison une divinité et lui rendent un culte; mais, manifestement, ils personnifient une abstraction, leur déesse improvisée n’est qu’un fantôme allégorique; aucun d’eux ne voit en elle la cause intelligente du monde; au fond du cœur, ils nient cette cause suprême, et leur prétendue religion n’est que l’irréligion affichée ou déguisée. — Nous écartons l’athéisme, non-seulement comme faux, mais encore et surtout comme dissolvant et malsain[1]. Nous voulons une religion effective, consolante et fortifiante ; c’est la religion naturelle, qui est sociale autant que vraie. « Sans elle[2]. comme l’a dit Jean-Jacques, il est impossible d’être bon citoyen... L’existence de la divinité, la vie à venir, la sainteté du contrat social et dès lois, » voilà tous ses dogmes ; « on ne peut obliger personne à les croire; mais celui qui ose dire qu’il ne les croit pas se lève contre le peuple français, le genre humain et la nature. » En conséquence, nous décrétons « que le peuple français reconnaît l’existence de l’être

  1. Buchez et Roux, XXXII, 364. (Rapport de Robespierre, 18 floréal an II.)
  2. Ibid., 385. Discours d’une députation de jacobins à la convention, 27 floréal an II.