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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 56.djvu/792

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est une force autonome et distincte, peu importe le nom. Cette force qui fait, au plus bas degré, l’individualité de l’être vivant, au plus haut, la personnalité de l’être raisonnable, elle s’impose à vous. Expérimentalement, vous ne pouvez pas la contester. La seule raison qui vous pousse à le faire, c’est une raison métaphysique. Mais cela n’est pas assez pour nous persuader. Vous dites souvent, et avec raison, qu’une conviction ou une espérance métaphysique ne suffit pas à prouver une réalité. Soit. Mais consentez de même à ce qu’une difficulté d’ordre métaphysique ne prescrive pas contre un fait. Vous vous épuisez en vains efforts pour ramener cette force autonome à n’être qu’une forme déguisée de l’hérédité. Sans en nier directement l’existence, vous en transformez la nature. Vous n’y réussirez pas. Car s’il y a dans l’homme un pouvoir personnel, c’est précisément quelque chose qui se crée et se renouvelle sans cesse, en contradiction avec les élémens donnés ; c’est quelque chose qui rompt la trame des phénomènes mécaniques pour y insérer un acte ou une série d’actes nouveaux, non contenus dans les phénomènes. La question n’est pas de savoir si l’apparition d’une telle force dérange les cadres d’une théorie ; la question est de savoir si telle chose existe. Tant pis pour les théories qui ne s’accommodent pas avec la réalité.

Nous pouvons maintenant conclure, à ce qu’il semble, et ramener en quelques traits, sous les yeux du lecteur, les résultats de cette étude. L’hérédité psychologique existe assurément ; elle existe comme prolongement ou retentissement de l’hérédité physiologique, dont les influences pénètrent au dedans de nous et enveloppent même notre être intellectuel et moral. — Mais dans quelle mesure se manifeste son influence ?

En faisant de l’hérédité psychologique quelque chose d’uniforme et d’absolu, on l’a faussée. Elle existe, mais à différens degrés. Elle est plus sensiblement vérifiable dans les ensembles, dans les races, que dans les individus ; elle s’y révèle en traits bien plus fortement marqués, parce que, dans les peuples et dans les races, l’élément individuel tend à s’effacer de plus en plus pour laisser reparaître la nature, c’est-à-dire l’espèce. Elle se montre particulièrement dans les cas de psychologie morbide, parce que les faits de ce genre sont des cas dérivés, dans lesquels l’individu retombe sous la domination presque exclusive des influences physiologiques. Elle se montre plus agissante à mesure que les phénomènes sont plus voisins de l’organisme, elle devient moins active à mesure que l’on gravit l’échelle des phénomènes humains : très forte dans les actes réflexes, les cas de cérébration inconsciente, les impressions, les instincts ; décroissante et de plus en plus vague dans les phénomènes de sensibilité supérieure et de pensée ; nulle dans les manifestations les plus