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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 56.djvu/821

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LA
VIE ET LES SALAIRES
A PARIS

Dans quelques paroles charmantes prononcées naguère par lui à l’inauguration d’un des asiles de nuit fondés par la Société philanthropique, M. Cherbuliez rapportait en ces termes un apologue emprunté à Calderon : « Un pauvre cheminait un jour sur une grande route, tenant à la main un paquet d’herbes qu’il avait cueillies le long des haies pour en faire son repas. Celles de ces herbes qui étaient trop sèches ou qui lui semblaient trop amères, il les jetait dédaigneusement sur son chemin. Or voici qu’ayant tourné la tête, il vit venir derrière lui un autre pauvre, encore plus pauvre que, lui qui ramassait avidement pour les manger les herbes qu’il avait rebutées. Calderon en conclut, ajoutait M. Cherbuliez, qu’on est toujours le malheureux de quelqu’un et que tel de nous ramasserait volontiers les peines de son prochain pour s’en faire des joies. »

L’ingénieuse leçon contenue dans cet apologue est de celles qu’il est toujours bon pour chacun de se répéter. Il est bon de se dire que de toutes les épreuves auxquels l’homme est en proie, il n’en est point qui assombrisse sa vie, qui abatte son espérance et flétrisse son âme autant que le souci du pain quotidien et que toutes les angoisses, toutes les amertumes, toutes les souffrances contenues dans ce seul mot : la misère. Cependant ces