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qui certes ne feraient envie à personne. Le prix des appartemens est d’autant moins élevé que le quartier où ils sont situés est plus éloigné du centre de Paris. Mais ceux qui prennent ainsi leur parti de s’établir dans les quartiers excentriques dépensent souvent en frais de tramways, d’omnibus ou même tout simplement de chaussures, l’économie qu’ils réalisent sur leur loyer, sans parler de l’obligation pour eux de manger au dehors. Il faudra donc y regarder à deux fois avant de les éloigner encore, mais pour le moment ces chiffres ne seront contestés, je crois, par aucun de ceux qui contrôlent par leurs investigations personnelles les résultats de la statistique.

Ce n’est pas au reste que les données de la statistique contredisent ces renseignemens : au contraire. D’un intéressant travail publié, en 1880, par M. Toussaint Loua, dans le journal de la Société statistique de Paris, il résulte que, sur 684,952 logemens existant dans Paris et servant en moyenne à 3 habitans, 468,641, soit plus des deux tiers étaient d’une valeur inférieure à 300 francs. Quant au loyer moyen par tête, la statistique officielle l’évaluait en 1876 à 167 francs, mais comme les évaluations officielles des loyers sont toujours un peu au-dessous de la réalité, M. Paul Leroy-Beaulieu n’hésite pas à l’évaluer à 190 francs, chiffre strictement intermédiaire (ainsi que cela doit être pour une moyenne) entre les 150 francs de loyer payé par le célibataire et les 250 francs payés par celui qui est chargé de famille. Ce chiffre moyen s’élevait en 1817 à 90 francs, à 110 francs en 1839, à 150 en 1872. Cela revient à dire que chacun depuis dix ans paie pour son loyer entre 20 et 25 pour 100 de plus qu’il ne payait autrefois, et c’est là un fait qu’il ne faut pas perdre de vue lorsqu’on parle de la hausse des salaires. Passons maintenant à la question de l’alimentation.

Dans les réunions où les ouvriers discutent les intérêts de leur profession, on les entend souvent répéter que les objets nécessaires à l’alimentation ont doublé de prix depuis dix ans, et ils s’appuient sur cette hausse pour justifier leurs exigences en matière de salaires. Il y a dans cette affirmation une exagération manifeste. Certaines denrées ont haussé, il est vrai, mais d’autres sont demeurées au même prix, et d’autres ont même une certaine tendance à la baisse. Nous n’arriverons à nous rendre compte de ces variations qu’en entrant dans quelques détails assez fastidieux ; mais lorsqu’on veut pénétrer dans l’intimité de la vie populaire, il ne faut pas se laisser rebuter par un peu de vulgarité. Commençons par le prix du pain.

D’après la dernière enquête faite par la Société mulhousienne, dont je parlais tout à l’heure, dans 16 familles d’ouvriers (suivant le système excellent en cela des monographies), le pain entrerait pour une proportion de 33 pour 100 dans la nourriture de l’ouvrier.