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n’hésite pas à affirmer le contraire ; elle accorde aux statisticiens que la moyenne des salaires a pu hausser depuis vingt ans et que, du chiffre de 2 fr. 14 par jour, cette moyenne peut s’élever maintenant à 2 fr. 78 ; mais elle affirme que la grande majorité des femmes ne touche pas ce salaire. Ce qui, suivant Mme de Barrau, contribuerait à enfler cette moyenne, c’est le salaire élevé attribué à certaines professions privilégiées : celles de fleuristes, de compositrices typographes, de brodeuses de fin, etc. Mais il n’y a qu’un petit nombre d’ouvrières qui touchent ces salaires élevés pendant un petit nombre de mois de l’année, et il suffit de ces quelques chiffres pour fausser absolument la moyenne au point de vue de la réalité des faits. Mme de Barrau n’hésite pas à dire que le plus grand nombre des ouvrières ne touchent pas ce salaire moyen de 2 fr. 78 par jour, ni même ce salaire de 2 fr. 14, qui était la moyenne de 1864. Après avoir relevé le grand nombre d’ouvrières qui ne gagnent que 2 francs ou moins de 2 francs, je suis porté à croire que Mme de Barrau a raison. S’il y a, au reste, une opinion qui soit répandue dans la classe populaire, c’est bien l’idée qu’une femme seule ne peut gagner sa vie à Paris. Bien des fois j’ai rencontré cette opinion élevée à l’état d’axiome, mais jamais je n’en ai été plus frappé qu’un jour où j’ai entendu une femme veuve demander son inscription sur les registres de la prostitution en donnant comme raison : « Je ne gagne que ce qu’une femme peut gagner à Paris, trente sous par jour, et ce n’est pas assez pour vivre. » Tenant la raison pour ce qu’elle pouvait valoir, on ne peut nier cependant que cette difficulté de gagner sa vie toute seule ne soit le cas d’un grand nombre de femmes et qu’une bonne moitié des jeunes ouvrières, si on ne veut pas dire la majorité, ne se trouve dans cette alternative : vivre de privations ou se marier.

Mais, dira-t-on, cette alternative n’a rien que de parfaitement normal et de conforme au plan général du monde. S’il n’est pas bon pour l’homme de vivre seul, cela est encore moins bon pour la femme. Le mariage est sa carrière naturelle, le mari un protecteur, les enfans une douceur dans sa vie, et son faible salaire, s’ajoutant à celui de son mari, leur permettra de vivre dans une honnête aisance et d’élever convenablement ses enfans.

La réponse serait topique si l’alternative s’offrait toujours à l’ouvrière dans les termes où je viens de la poser. Malheureusement, dans la classe ouvrière de Paris, ne trouve pas un mari qui veut. Nous verrons plus tard, en faisant la part de l’inconduite dans le