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personnages célèbres du passé, depuis les Hommes illustres de Plutarque jusqu’à Louis XI, Louis XIV et Pierre le Grand, il a toutes ces ressources d’étude sous la main. Il le commerce avec les œuvres des politiques, avec les écrits de Richelieu, de Mazarin, et s’il réfute les doctrines de Machiavel, il ne se privera pas, à l’occasion et sous peu, de les pratiquer lui-même. Il est préoccupé de s’instruire, de profiter des leçons que lui fournissent tous ceux qui, à un titre quelconque, sont réputés grands parmi les hommes. « Je travaille à me rendre meilleur, écrit-il à la date du 15 décembre 1737, et à me remplir l’esprit de tout ce que l’antiquité et les temps modernes nous fournissent de plus illustres exemples. » Aux éloges et aux flatteries que Voltaire lui adresse alors, il répond simplement : « Je ne suis grand par rien. Il n’y a que mon application qui pourra un jour me rendre utile à ma patrie. » Naturellement on a les yeux sur lui, on cherche à savoir quels sont ses projets, ses idées. Sans s’ouvrir à personne à ce sujet, il sait que son heure va venir et que sur ce théâtre de l’Europe qu’il s’est attaché à bien connaître, il est appelé à jouer son rôle. Dès longtemps il s’y est préparé, et quand son père meurt, en 1740, il se sent en main les élémens de l’action à laquelle il aspire : des soldats et de l’argent. Pour mettre en œuvre ces ressources dont il dispose et que les divisions de ses adversaires, leur insouciance ou leur épuisement rendent plus efficaces encore, il y joindra toutes les souplesses d’un esprit peu scrupuleux, et cette volonté opiniâtre qui, sans se lasser jamais, ne cesse pas de tendre vers son but.


II

Tout pressé qu’il est d’entrer en scène, Frédéric commence par organiser sa maison. Il a ses idées à cet égard : « tenir un juste milieu entre la frugalité et la profusion est, dit-il, ce qui convient à tous les princes, » Mais il ne se conformera pas toujours à cette sage maxime et, à la générosité dont il fait montre en certaines occasion, il est déjà facile d’opposer des traits d’économie un peu étroite. Pouvant désormais s’abandonner librement à ses goûts, il hésitera souvent à les satisfaire. Dès 1740, le marquis de Valori, qui le connaît bien, écrit de lui « qu’il court après toutes les gloires, mais que rien ne l’arrête autant que l’économie ; » et le comte de Gotter, un de ses agens, dit à l’ambassadeur d’Angleterre, en parlant de son maître que « c’est un étrange mélange d’ambition et d’avarice. » De même, que le nouveau souverain va continuer à écrire et à rimer, il ne cessera pas non plus de se livrer à sa passion pour la flûte. Il est assez actif pour trouver le temps de tout faire, et d’ailleurs, à partir de ce moment, il devient plus matineux encore.