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l’état de son esprit ; il est permis de croire qu’à l’anxiété patriotique se mêlait un peu de curiosité maligne et comme une pointe de rivalité. Toutefois cette lettre exprime assez bien le sentiment général. Nos armes avaient été si souvent malheureuses sur cette frontière, et les circonstances étaient si graves, que l’inquiétude était profonde. Aussi lorsque, dans la journée du 20, la Moussaye descendit à l’hôtel de Condé et, de là, courut au Louvre, répandant « la nouvelle du gain de la bataille, » ce fut dans les rues de la capitale un véritable transport de joie. La considération de ce qu’auraient pu être les conséquences de la défaite faisait ressortir l’éclat et la grandeur du succès. La Moussaye était de haut lignage, populaire, beau et bien disant ; il s’était déjà fait remarquer à la guerre ; c’était l’ami intime du duc d’Anguien : on juge comme il fut fêté. Il avait fait grande diligence ; ayant quitté le champ de bataille au moment même où les tercios venaient de succomber, il n’apportait que des messages verbaux et quelques lignes adressées par le général en chef au premier ministre. Avec la fière simplicité d’un homme assez sûr de sa gloire pour ne pas craindre de la diminuer en relevant le mérite d’autrui, Anguien faisait la part large à Gassion : « Le principal honneur de ce combat lui reste deu[1]. » Gassion aussi avait écrit à Mazarin ; dans sa lettre, courte d’ailleurs, il avait trouvé moyen de ne parler que de lui-même[2].

Tourville, premier gentilhomme de M. le Duc, arriva le 21 avec le bras en écharpe, car il avait été blessé dans la bataille ; il apportait des renseignemens plus précis, des détails plus complets, un premier rapport écrit, quelques propositions. La nouvelle coïncidait avec certain remaniement du ministère et du conseil, une des étapes de Mazarin vers le pouvoir absolu ; c’était un grand coup de fortune pour le cardinal : aussi « les importans et MM. de Vendosme » restèrent-ils à l’écart ; ils étaient seuls ; la cour, la ville, se précipitèrent chez M. le Prince, chez Mme la Princesse, chez Mme de Longueville. Pendant quinze jours, ce fut au quartier-général de l’armée de Picardie une pluie de félicitations, beaucoup de banales, quelques-unes piquantes, comme celle du vieux Bassompierre, qui sortait de la Bastille, ou celle de La Meilleraye : « Vous êtes le seul qui ayez remporté une grande victoire pour un roi de quatre ans, le quatrième jour de son règne. » Il y en avait aussi de charmantes, celle, par exemple, où la mère et la sœur de M. le Duc, passant la plume aux « aimables personnes qui les entourent, » réunissaient les signatures de celles qui seront les héroïnes de la

  1. M. le Duc à Mazarin, 19 mai.
  2. Gassion à Mazarin, 21 mai.