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beaucoup d’autres exemples de son règne universel. C’est, du reste, ce que nous venons ici examiner, et même, très souvent, admirer, quoique je ne réponde pas que nous puissions espérer l’établir en Angleterre dans un laps de temps déterminable ; il faudra que l’essence même des mœurs anglaises ait considérablement changée. — Excusez ce pâté désastreux ! Le mouvement du train et la situation précaire de la lampe tout près de mon nez auraient depuis longtemps découragé un épistolier moins résolu. — Ce qui m’étonne, c’est le sentiment aristocratique très marqué qui se dérobe sous cette simplicité républicaine. On prétend tout bas que la ville impériale, — tel est le nom donné à New-York, — serait mûre pour une monarchie, mais il ne faut pas prendre au sérieux des paroles en l’air. Le prétendant qui viendrait recueillir cette couronne chimérique s’exposerait, je gage, à une défaite pire que Culloden.

Revenons au système d’éducation, qui a, comme je vous le disais, absorbé une bonne partie de mon temps, car je n’ai pas visité moins de cent quarante-trois écoles et collèges. Le nombre des gens instruits est extraordinaire ; cependant la mauvaise habitude d’un certain argot permettrait d’en douter. Hier, j’ai entendu à la haute école de Pognanuc cinquante-sept filles et garçons réciter en chœur une ode au drapeau américain, après quoi, j’ai assisté à un lunch de dames où figuraient plus de quatre-vingts convives du sexe. Il y avait un seul individu en pantalon ; ses pantalons, par parenthèse, quoiqu’il en ait apporté une douzaine, commencent à montrer la corde. Les hommes ne participent jamais aux repas où sont discutées entre femmes des questions religieuses, politiques et sociales. Ces agapes immenses de femmes me paraissent être un des traits frappans de la vie américaine et indiquent vraiment que les hommes ne sont pas aussi indispensables qu’ils veulent bien le prétendre. On a fait exception pour moi, en ma qualité d’Anglais et de voyageur, pour me montrer quelques femmes supérieures, m’a-t-on dit. J’ai vu en effet bien des fronts intelligens. Ces étranges collations s’organisent selon les âges. Mon zèle d’étranger curieux m’a aussi valu d’assister à des repas de jeunes filles, d’où sont exclues rigoureusement les femmes mariées et où les invitées m’ont paru être non moins intelligentes. — Pardon, si je ne vous en dis pas davantage, mais j’écris dans une fausse position ; ces crampes deviennent insupportables. — Les enfans, pourvus en Amérique de privilèges démesurés, ont aussi l’esprit très vif et très ouvert. J’ai causé avec beaucoup de professeurs, principalement des dames, qui ont souvent une classe nombreuse de jeunes gens sous leur direction. L’une d’elles entre autres, âgée de vingt-trois ans, qui occupe la chaire de philosophie morale et de belles-lettres dans un collège de l’Ouest, m’a avoué avec une franchise parfaite qu’elle était adorée des