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n’avons en revanche ni autant de misère ni autant de vice que là-bas. Nous ne connaissons pas cette classe où la femme est régulièrement battue, nous ne connaissons pas le paysan stupide qui travaille comme une bête de somme sur les terres de la noblesse ; ici les gens ont le sentiment de ce qu’ils valent, ils agissent, ils inventent, ils répondent d’eux-mêmes, ils ne sont jamais, dans les affaires sociales, liés par l’autorité, les précédens. Nous aurons tous les Titiens du droit de notre argent un jour ou l’autre et je ne serais pas étonné que nous fissions même passer la mer à quelques cathédrales. Oh ! je vous entends ! Je suis un Yankee rugissant ! Répétez-le cent fois, tandis que je déclare mon goût pour Washington, où l’on ne se sent pas gouverné, quoique ce soit le siège du gouvernement. Le jour de mon arrivée, je suis allé au Capitole, eh bien ! vous ne vous figurez pas combien de temps il m’a fallu pour me persuader, rompu comme je l’étais à la tyrannie, que j’avais le droit d’y entrer, aussi bien qu’un autre, que ce monument magnifique (car il est magnifique, ne vous en déplaise), m’appartenait comme à tout le monde. Les portes étaient grandes ouvertes ; j’entrai partout sans rencontrer seulement un policeman. On cherche en vain les uniformes, la livrée est bannie de notre république. Cela étonne d’abord, cela manque, ne fût-ce qu’au point de vue pittoresque ; on s’imagine que la machine est arrêtée ; point du tout ; seulement elle travaille sans feu ni fumée. Au bout de trois jours, le fait qu’il n’y a ici que de simples habits noirs, sans rien qui révèle le soldat ou l’espion, commence à nous impressionner à la façon d’une chose majestueuse et symbolique. La plus grande revue à laquelle j’aie assisté en Allemagne a produit moins d’effet sur moi. Soit, je suis un Yankee rugissant, mais il faut prendre un pinceau vigoureux pour peindre un modèle de cette taille. L’avenir est ici, cela va sans dire, et ce n’est pas seulement l’avenir que nous possédons, c’est encore le présent. Vous vous plaindrez que je ne vous donne pas de mes nouvelles personnelles, mais je suis plus modeste sur mon propre compte que sur celui de mon pays. J’ai passé un mois à New-York, et tandis que j’y étais, j’ai vu presque tous les jours une jeune fille assez intéressante qui avait fait la traversée avec moi sur le bateau. Un instant, j’ai songé à l’épouser… Non,.. elle avait été gâtée par l’Europe !


VIII.
Miss Aurora Church [New-York) à miss Whiteside [Paris).


9 janvier.

Je vous ai fait part en arrivant de mes conventions avec maman : elle me laissait toute liberté pour trois mois et si, après ce laps de