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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 57.djvu/176

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n’est pas inutile de constater que la Chine a perdu là encore l’un de ses anciens tributaires, et que c’est un petit royaume, moins grand que l’une de ses plus petites provinces, qui s’est permis de le lui enlever.

Il y a mille ans environ que le Tonkin fut conquis par les Chinois et qu’il devint l’une des annexes de la province de Ngan-Nan[1]. Au commencement du XVe siècle, un général du nom de Le chassa l’armée d’occupation chinoise, et se fit proclamer roi. Il est tout à fait improbable qu’il lui soit venu à l’idée, après avoir battu les soldats de l’empereur de Chine, d’aller demander l’investiture au vaincu, et de se reconnaître son tributaire. Il y a quatre-vingts ans bientôt, un Annamite, du nom de Kghuen-Anh, mit à son tour en fuite les descendans de Le, et le roi Tu-Dac, qui règne aujourd’hui sur l’Annam et le Tonkin, est un des fils de ce Nghuen-Anh. Nous ne voyons pas jusqu’ici à quel propos, dans quelle circonstance, l’Annam a pu demander à la Chine, comme cette dernière le prétend, de devenir son vassal. Cette question d’un tribut payé au Céleste-Empire par les rois de l’Annam et du Tonkin est capitale pour nous, puisque de la façon dont elle sera tranchée doit dépendre notre attitude vis-à-vis de ces deux pays. On l’a si bien compris à Hué comme à Pékin que le gouvernement chinois a imaginé, l’année dernière, de faire construire à Haï-Phong, l’une des bourgades du Tonkin que nous occupons à l’embouchure du fleuve Rouge, des magasins pour recevoir un tribut en nature de cent mille piculs de riz[2], tribut que l’Annam serait censé payer à l’empereur de Chine. L’expédient est trop grossier pour qu’il puisse nous tromper. Il a été fort habilement imaginé, non-seulement pour fournir des armes à ceux qui voient d’un œil d’envie notre présence dans ces parages, mais encore pour faire naître des doutes sur la légitimité de notre intervention au Tonkin chez quelques esprits timorés. Ces constructions qui s’élèvent tout à coup, en 1880, à Haï-Phong pour recevoir un prétendu tribut bientôt centenaire, sont sorties, en vérité, trop à propos du sol et bien tardivement.

Même en admettant, comme on l’assure à Pékin, et ainsi que M. Bourée, notre ambassadeur trop crédule, semble le croire, que le roi de l’Annam soit le vassal de la Chine, qu’il lui ait livré, en réalité, annuellement, et cela depuis bientôt un siècle, 6,250,000kilogrammes de riz, pourquoi, lorsque nous nous sommes emparés

  1. Voyez le Tonkin et les Relations commerciales, dans la Revue du 1er mars 1874.
  2. 6,250,000 kilogr.