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régulateur du vers, il n’y avait pas une nécessité intérieure qui devait fatalement amener tôt ou tard la mobilité de la césure et la liberté de l’enjambement. Je signale en tout cas le problème au futur historien du romantisme. Il y a là un point important de technique à la fois et d’histoire. Sainte-Beuve, après cela, n’en aurait pas moins fait arriver plus tôt ce qui sans lui ne serait arrivé que plus tard, et la juste part que lui a faite M. Biré n’en serait nullement diminuée.

On pourrait même aller plus loin. Lorsque je considère, en effet, dans l’œuvre entière de Victor Hugo, le caractère des Feuilles d’automne, tout particulier, presque unique, teinté de cette mélancolie douce et en même temps maladive, dont le titre même éveille l’idée, j’imagine que le poète des Consolations et de Joseph Delorme y est de quelque chose. Au fond, tout au fond, je crois y discerner un germe de morbidité, le germe qui grandira lentement à travers le siècle et que, vingt-cinq ou trente ans plus tard, on verra s’épanouir dans les Fleurs du mal, de Charles Baudelaire. On avouera bien du moins qu’il n’y a rien de plus étranger à l’inspiration coutumière de la poésie de Victor Hugo… Tenons-nous-en là, de peur de dépasser les bornes entre lesquelles M. Biré a renfermé son livre. Aussi bien sommes-nous ici parvenus à l’un des beaux momens de cette longue carrière. C’est autour de Victor Hugo que s’est formé le nouveau cénacle, poètes et conteurs, peintres et sculpteurs ; il vient de publier les Orientales, en 1829 ; il va bientôt, en 1830, donner ce célèbre Hernani ; il est entré dans cette ardente mêlée de discussions qu’il faut traverser pour atteindre la gloire ; et si quelques-uns de ceux qui l’entourent, plus clairvoyans, discernent déjà peut-être où le mèneront un jour le dérèglement même de ses qualités et l’idolâtrie qu’il professe pour ses propres défauts, nul cependant alors n’oserait croire que le poète des Odes et des Orientales puisse devenir celui de l’Ane, ou l’auteur encore de la préface de Cromwell et du Dernier Jour d’un condamné celui de l’Homme qui rit.

Nous avons beaucoup pris dans le livre de M. Biré ; cependant il y resterait beaucoup encore à prendre. Citons du moins, — à présent que nous avons indiqué l’intérêt littéraire d’une question qui tout d’abord n’en semblait peut-être pas avoir, — citons les pages où il a rétabli la vérité vraie sur l’éducation du poète. Ce n’est pas du tout aux -leçons de sa « mère vendéenne, » quoi qu’il en ait dit, mais bien aux leçons de son père, le général Hugo, promu successivement maréchal de camp et lieutenant-général par Louis XVIII et Charles X (et non point par l’empire, qui l’avait laissé colonel), que l’enfant dut son royalisme. Mais inversement, ce n’est pas du tout aux leçons de son père, transformé pour la circonstance en ardent républicain, c’est à lui-même, c’est à sa soif de popularité, parce que le vent tournait alors de ce côté, que le jeune homme plus tard dut son bonapartisme, et depuis, son républicanisme. Signalons encore les pages où M. Biré démontre que l’Ode à