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Difficilement nous pardonnerons à Mme Cambry une faute dont nous ne voyons pas d’assez près l’excuse et, même à vingt-quatre ans de distance, le manège de cette femme entre l’amant et le mari nous apparaît comme assez malpropre ; d’autre part, l’homme qui refuse de croire sa maîtresse lorsqu’elle lui crié qu’il l’a rendue mère est toujours dans une posture déplaisante. Mais ce qu’il faut reconnaître, c’est que la situation est abordée avec une crânerie qui déconcerte les résistances du public ; aussi bien, c’est la façon ordinaire de l’auteur et sa manière d’attaquer l’obstacle : il me rappelle en ces occasions l’ingénieur dont il est parlé dans une comédie de M. Augier, qui, se trouvant sur la machine d’un express et voyant une charrette de moellons arrêtée sur la voie, lâche toute la vapeur et lance le train à travers la charrette comme un boulet de canon. M. Delpit va de même. Les chicaneurs l’attendent au tournant d’uns situation : il l’aborde de front, il l’enlève, il est passé avant qu’on ait jeté un cri. D’ailleurs il faut déclarer que cette crânerie ne sert pas à nous duper ; ce n’est pas celle d’un escamoteur, mais bien d’un moraliste, cette bravoure est mise au service de la vérité, voire d’une vérité qui n’est pas banale : ce duc de Hautmont, déclinant cette paternité qu’on lui révèle après vingt-quatre ans et refusant de renoncer pour elle à son amour, fait à peu prés ce que tout homme de chair et d’os ferait en pareille occasion, mais ce que peu de héros de théâtre, hormis Pourceaugnac, auraient le courage de faire ; et, ce faisant, il s’expose à la défaveur du public.

Cependant le duc a promis à Thérèse de faire tout ce que lui permettrait l’honneur pour éviter Martial ; même, à la prière de Jean de Born, il s’apprête à quitter Cambô. Mais Martial, par un hasard, devine le nom de son rival ; il le rencontre dans un lieu public, dans le salon du casino, lui cherche querelle, le provoque et lui jette son gant au visage. C’en est trop, le duc se battra, les quatre témoins sont désignés ; la fureur des deux adversaires fait prévoir que la rencontre sera mortelle. Voilà donc les héros du drame, et je ne parle pas seulement de ceux qui vont mettre l’épée à la main, mais de tous ceux dont les sentimens sont en lutte devant nous, enfermés dans le champ clos où l’auteur les a voulu maintenir. Un silence religieux se fait dans l’auditoire, quand Thérèse se retrouve seule avec son fils, dont elle a surpris quelques paroles échangées avec des témoins ; on attend un bel éclat : je vous jure que l’attente ne sera pas trompée.

« Je ne veux pas que tu te battes ! » crie Thérèse à Martial. Il s’agenouille devant elle et lui demande pardon : il faut qu’il se batte, il a provoqué le duc, il l’a frappé. « Je ne veux pas que tu te battes ! » Ce refrain, tantôt jeté d’une voix impérieuse, tantôt murmuré entre les dents, revient scander le dialogue de la mère et du fils ; tout ce