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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 57.djvu/239

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public. Nous nous souvenons de l’émotion avec laquelle ce père, d’une main tremblante, nous montrait un jour une lettre que le généreux jeune homme avait écrite avec toute la fierté de son âme, dans une des heures critiques de sa vie. Depuis ce moment, Jules Sandeau s’était senti en quelque sorte déraciné. Il ne cessait pas d’être ce qu’il avait toujours été, cordial et bon ; il gardait la blessure ouverte, il avait perdu ce qui le rattachait au monde. Et puis, dans ce monde même où tout changeait, où tout s’assombrissait, — où tout se renouvelait, si l’on veut, — peut-être aussi ne voyait-il rien qui pût lui faire oublier sa douleur de père, et lui rendre le courage. Il n’y mettait aucune humeur pessimiste, aucune amertume. Il était toujours accueillant et sympathique pour les tentatives nouvelles, surtout pour ses jeunes émules ; il se sentait un peu d’un autre monde qui était en train de disparaître. Le directeur de l’Académie française, M. Rousse, lui a fait de dignes et touchans adieux en parlant de sa mort comme d’un deuil de famille pour l’Institut. Et ici également, comme à l’Académie, c’est un deuil de famille dans cette maison où Jules Sandeau laisse, avec le lustre de ses œuvres, les plus affectueux souvenirs.

La littérature a ses deuils ; la politique a ses aventures grandes ou petites qui recommencent sans cesse, pour tout le monde et un peu partout. La paisible Hollande elle-même vient de passer par toutes les péripéties d’une crise ministérielle qui s’est prolongée pendant quelques semaines et dont le dénoûment assez laborieux ne laisse peut-être pas de paraître encore provisoire. Le cabinet que présidait M. Van Lynden et dont la chute a déterminé cette crise prolongée, n’est pas tombé sans doute sur une question bien grave, puisqu’il ne s’agissait que d’un vote d’ordre du jour ; mais, dans la discussion qui avait précédé le vote, il y avait eu de telles déclarations de la part des principaux chefs parlementaires que le cabinet ne pouvait plus compter sur un retour de confiance, qu’il ne pouvait plus même songer à se reconstituer. L’embarras était d’autant plus sérieux que le morcellement des partis dans le parlement rend fort difficile la formation d’un ministère nouveau. Depuis quelques semaines, il y a eu une série de tentatives toutes d’abord également inutiles. Le roi a commencé par s’adresser à un des chefs du parti conservateur, M. Heemskerk ; mais le parti conservateur n’est pas assez puissant dans le parlement pour former une majorité, pour soutenir un ministère, et M. Heemskerk a paru d’abord hésiter, à tenter l’aventure. Le président de la seconde chambre, M. Van Rees, a été appelé, lui aussi ; on comptait sur son autorité, sur l’influence que lui donne sa position. M. Van Rees, par ses opinions sur la liberté commerciale, s’est malheureusement attiré de puissantes inimitiés qu’il aurait été exposé à rencontrer le jour où il serait entré au pouvoir. Un ancien ministre, homme d’un libéralisme modéré, M. Gleichmann, a reçu à son tour la mission