cheveux éclatans de blancheur sont bien rangés. Elle aussi, elle dort assise, non pas qu’elle soit asthmatique, mais parce que le poids de son cancer l’étouffe lorsqu’elle est étendue sur le dos. Elle se découvre le thorax ; la poitrine plate est tout entière mamelonnée de glandes cancéreuses et ressemble à la carte en relief d’un massif de montagnes. L’ablation même n’est point possible ; depuis les clavicules jusqu’à la dernière des fausses côtes, ce n’est qu’une cuirasse formée de nodosités couleur marron nuancée de tons livides. La pauvre femme ne se fait point d’illusion. Le regard a une expression navrante et l’on dirait que les lèvres répètent la phrase de Chateaubriand : « Je me décourage de durer ! » — Elle n’a pas « duré » longtemps ; deux jours après ma visite, son corps s’est endormi pour ne plus se réveiller ; on l’a porté à la chambre des morts et bien vite on a préparé le lit pour y placer une postulante dont le visage est déjà presque disparu.
Que le lecteur ne se figure pas que j’aie outré le tableau : je l’ai atténué ; j’ai reculé devant certaines descriptions, il y a des faces que je n’ai pas dévoilées, des plaies dont j’ai volontairement détourné les yeux. Ce que ces femmes souffrent de ces maux sans remède et sans espoir ne peut s’imaginer ; derrière les rideaux blancs on entend les plaintes étouffées ; parfois, la nuit, le silence du dortoir est troublé par un cri ; c’est la bête féroce qui mord une malade et l’arrache au sommeil. Les Dames du Calvaire ne sont jamais loin, et il n’est pas besoin de les appeler deux fois pour qu’elles accourent. Elles savent administrer l’hydrochlorate de morphine comme de vieux praticiens, et l’art des injections sous-cutanées leur a été révélé. Pour ces maux incurables qui sont une aberration de la nature, le médecin n’a jamais trop de compassion ; là où le médicament reste inefficace et ne peut guérir, la parole affectueuse est un allégement. C’est moins la maladie qu’il faut considérer que la malade, à laquelle on ne prodiguera jamais assez de consolation, de tendresse et d’encouragement. Les Dames du Calvaire ne l’ignorent pas ; elles calment les suppliciées et les endorment par des paroles fortifiantes qui sont les litanies de la commisération, elles apaisent celles qui se révoltent de tant souffrir, s’agenouillent près du lit, prient et font descendre l’espérance dans les cœurs des plus exaspérées.
En quel lieu prierait-on, si l’on ne priait pas dans cette infirmerie où l’on n’a plus rien à attendre de la science humaine, où chaque minute apporte une torture, où la veille est faite d’angoisses, où le sommeil est un cauchemar, où l’âme n’a de refuge que dans les destinées d’outre-tombe ? Une femme ankylosée des genoux, les jambes ravagées par une dartre vive, me disait : « Ah ! que je voudrais pouvoir marcher ! » Je lui demandai en souriant : « Pourquoi ? pour