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aujourd’hui ce n’est qu’avec une mélancolie résignée : que l’on peut prononcer le mot de dégrèvemens. Pendant sept années, de 1876 à 1883, nous n’avons cessé, quant à nous, de prêcher la conversion ; nous demandions l’accomplissement de cette grande mesure dans un temps où la prospérité du pays était éblouissante. Pas un budget ne fut présenté dans tout cet intervalle sans que nous ayons pris soin de rappeler aux parlemens qu’il avait le moyen de diminuer de 50 ou 60 millions le chiffre des impôts sans rien enlever aux services publics. Accomplie alors, la conversion eût été accueillie avec faveur par l’ensemble du pays et sans trop de regrets par les rentiers. L’agriculture eût pu largement en profiter, et le crédit y eût trouvé une nouvelle cause d’essor. Des considérations politiques se sont opposées, paraît-il, à ce qu’on fît la conversion quand elle était si aisée et si naturelle. On connaît la malheureuse phrase du discours de Romans qui a rendu impossible ce grand acte au moment où il était le plus opportun et le plus simple. Ç’a été l’une des grandes fautes de M. Gambetta, l’une de celles qui montrent combien il avait peu la connaissance des affaires et l’intuition de l’avenir. Faite au moment où le 5 pour 100 venait de dépasser le pair, où personne n’avait pu acheter de cette rente dans les cours élevés, alors que toutes les circonstances étaient riantes, la conversion eût été, même au point de vue politique et pour le prestige du régime nouveau, une mesure excellente. Il était réservé à M. Gambetta de ne pas comprendre une vérité si claire, de ne pas voir qu’en retardant la conversion, il en augmentait les difficultés, qu’en laissant vivre le fonds 5 pour 100 au-delà de sa vie naturelle, il entretenait chez les rentiers des illusions qui plus tard se changeraient en mécomptes, qu’en laissant imprudemment le 5 pour 100 s’élever considérablement au-dessus du pair, il créait des couches nouvelles d’acheteurs auxquels la conversion serait plus dure et plus amère qu’aux anciennes ; qu’en un mot la conversion, qui était alors une œuvre de liberté et de choix, pourrait devenir un jour une œuvre de nécessité. Il était, cependant, d’autant plus facile de la prévoir que M. Gambetta et la chambre engageaient de plus en plus le pays dans la voie des dépenses folles qui devaient rendre la conversion indispensable. En regrettant que cette grande opération ne se soit pas effectuée beaucoup plus tôt et dans des circonstances plus favorables, il nous est impossible, quant à nous, qui l’avons toujours demandée, de ne pas l’approuver. Quand un état se trouve trois années de suite en face de déficits s’élevant chacun à 150 millions environ, il ne lui est pas permis de continuer à payer à ses créanciers, même nationaux, un intérêt supérieur à l’intérêt normal. La conversion vient donc trop tard, mais selon nous elle ne vient pas trop tôt. Sans doute elle ne comblera pas le déficit du budget : elle