Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 57.djvu/384

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en projet, retomberait dans ses illusions, et nos finances, auxquelles on n’aurait appliqué qu’un remède partiel, continueraient à être fort malades. C’est l’esprit général de prodigalité et d’aventure qu’il faut expulser ; ce sont les propositions désordonnées dues à l’initiative parlementaire qu’il faut proscrire ; c’est la manie de créer des places, d’augmenter les traitemens qu’il faut réprimer ; c’est le goût d’une économie sévère qu’il faut mettre en honneur. On pourrait presque dire qu’il faut que députés, ministres, conseillers-généraux ou municipaux, agens des comités électoraux, toute la nation enfin, abandonnent la conception qu’ils se sont faite du rôle de l’état et des corps administratifs. C’est cette conception même qui est la cause efficace des dépenses désordonnées, des calculs inconsidérés, des déficits continus et des emprunts sans fin. Quel que soit le sort des budgets extraordinaires de l’avenir, on n’évitera pas, comme on l’a vu plus haut, un grand emprunt prochain. Si la réforme, d’autre part, ne porte que sur les budgets extraordinaires et laisse subsister tous les abus de nos récens budgets ordinaires, on sera loin d’avoir restauré nos finances.

Étudions cependant ces budgets extraordinaires qui, pour n’être pas la seule cause de nos maux, en sont une des plus puissantes. On a beaucoup reproché à l’empire les budgets de ce genre, et les mêmes hommes qui critiquaient avec tant de vivacité chez lui cet expédient l’ont repris pour leur propre compte et démesurément agrandi. On comprenait que, dans les cinq ou six années qui ont suivi la guerre, l’insuffisance de nos ressources et la nécessité de réparer les ruines qui jonchaient notre sol, de reconstituer notre armement, de refaire nos forteresses, justifiât la création à côté du budget d’un compte extraordinaire. On l’institua sous le nom de compte de liquidation ; au lieu d’un qui paraissait suffisant, on en eut deux successifs : le premier, qui s’éleva à 898 millions 1/2, et le second, qui atteint ! milliard 104 millions ; c’étaient 2 milliards, somme respectable qui eût dû, avec l’énorme dotation du budget ordinaire, suffire pour remettre sur un bon pied notre année et notre marine. Après 1878 ou 1879, on pouvait rentrer dans les bonnes habitudes budgétaires : n’avoir plus qu’un budget, le budget ordinaire, pourvoir aux travaux de chemins de fer au moyen du système de la garantie d’intérêts qui, sans grands accroissemens de charges, a si merveilleusement suffi à la création des 13,000 ou 14,000 kilomètres médiocrement productifs du nouveau réseau des grandes compagnies, renoncer à la plupart des travaux de canaux, qui sont un leurre et un gaspillage, concentrer les travaux de ports dans les quatre ou cinq grandes places maritimes de France et recourir, pour les doter, au système anglais de droits de port et de quai : voilà ce que l’on eût pu faire avec un peu d’économie et de