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de près, c’est une merveille d’éclairage et d’expression : peinture émue, passée de ton, comme une page d’Indiana. Le pastel de Musset est beaucoup plus loin, dans notre salle, comme pour nous prouver qu’il a toujours vingt ans et qu’il est immortel. Bohèmes ou dandys, artistes et poètes, n’enviez pas l’auguste salon de la tribune ; vos vers, vos livres et vos toiles dureront plus que son marbre, et si le siècle survit, ce sera par vous.

Il vieillit, le siècle, il se hâte vers son déclin et nous presse de marcher avec lui. Nous l’avons vu dans les convulsions de son enfance, dans l’héroïque élan de sa jeunesse, nous venons de le voir dans la vigueur de l’âge, donnant son grand effort intellectuel. Époque mémorable et relativement heureuse ! Les esprits avaient encore une foi absolue dans le catéchisme de 1789, ils n’en épuisaient pas les conséquences inéluctables. En religion, en politique, en littérature et en art, un accord raisonnable s’était fait pour une heure entre les doctrines du passé et celles de l’avenir ; les âmes religieuses conciliaient leur dogme avec leur libéralisme ou, à défaut de dogme, s’enivraient d’un déisme poétique. Les hommes d’état avaient créé une machine compliquée, séduisante et fragile, pour régler l’exercice du pouvoir et celui de la liberté ; ils se flattaient que le pays le plus logique, le plus impatient du monde, se contenterait toujours de la fiction sur laquelle vivent des races moins subtiles, moins remuantes. Ils croyaient la révolution accomplie et Rousseau satisfait, parce que les classes aisées avaient le privilège de taquiner le gouvernement et les orateurs de talent la facilité de renverser un ministère. Les écrivains, les artistes revenaient au sentiment de la vie et de la réalité, sans perdre de vue l’idéal et les règles éternelles du goût. Toutes les chimères tourbillonnaient dans le ciel d’alors, l’impitoyable critique ne leur avait pas encore coupé les ailes, le pessimisme ne les avait pas dispersées de son souffle découragé. C’était un beau rêve ! En quittant ceux qui l’ont fait, regardez le dernier, ce général au visage si triste ; il a l’expression navrée d’un laboureur qui verrait dans son champ les épis semés par lui se changer en orties : c’est Cavaignac.


IV

Rentrons chez nous. Car c’est notre chez nous, l’époque qui nous reste à traverser, depuis 1850 jusqu’à ce jour. Belle ou laide, C’est nous qui l’avons faite ce qu’elle est. Si l’histoire et l’art s’évaluaient au mètre carré, je ne serais encore qu’à la moitié de ma tâche ; les vivans en usent sans façon avec les morts ; ils ont envahi ces deux dernières salles et le salon supplémentaire qui donne sur le vestibule d’en bas. A la rigueur, on pourrait diviser ces