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financière du projet ; nous reconnaissons volontiers, à ce sujet, notre complète incompétence. Peut-être, au point de vue budgétaire, est-il permis de se demander s’il est sage, et même, licite d’aliéner ainsi la liberté du parlement, de lui lier les mains par avance pour un laps de vingt-deux années en faisant masse (c’est l’expression dont on s’est servi) des différentes allocations qu’il a précédemment votées et qu’on lui suppose l’intention de voter encore pendant cet espace de temps au profit de la colonisation algérienne, afin de les inscrire en bloc au budget sous la rubrique de « garantie et amortissement d’un capital avancé par la caisse des dépôts et consignations. » N’est-ce point là une forme déguisée d’emprunt, et si pareils expédiens étaient couramment employés à faire face à toutes les dépenses ayant le double caractère d’être utiles et momentanées, où irions-nous et que deviendraient les finances de notre pays ? Je laisse ce sujet à éclaircir aux sages esprits qui ont, à l’heure qu’il est, justement souci de la bonne gestion de la fortune publique de la France. Ce n’est pas que je sois autrement effrayé de l’octroi d’une somme de 50 millions consacrée à développer les magnifiques ressources de nos possessions du nord de l’Afrique. C’est de l’emploi à faire de ce capital que je me préoccupe, et des moyens pratiques à mettre en usage afin d’en tirer le meilleur parti possible.

La question, du reste, n’est pas nouvelle. Elle a été traitée supérieurement par M. de Tocqueville dans le rapport qu’il a fait, en 1847, au nom d’une commission parlementaire qui, je le crois, a été la première saisie de l’une de ces demandes de crédits à l’usage des colons algériens, crédits dont le retour est depuis devenu si fréquent, et qui ont tant de fois fourni aux membres de nos diverses assemblées politiques l’occasion d’exprimer leurs vues sur la direction à donner aux affaires de notre colonie africaine. Voici quelles étaient à cette date les conclusions de l’éminent rapporteur : « En matière de colonisation, disait-il, il faut toujours en revenir à cette alternative : ou les conditions économiques du pays qu’il s’agit de peupler sont telles que ceux qui voudront l’habiter pourront facilement y prospérer et s’y fixer ; dans ce cas, il est clair que les hommes et les capitaux y viendront et y resteront ; ou bien, une telle condition ne se rencontre pas, et alors on peut affirmer que rien ne saurait jamais la remplacer. »

Dans ces termes absolus, le dilemme de M. de Tocqueville est logiquement irréfutable. Mais la logique absolue ne gouverne pas le monde, et les conditions économiques d’un pays peuvent d’ailleurs être graduellement modifiées et même parfois très promptement changées. L’Algérie en est un exemple. A coup sûr, elle n’était plus, au moment où nous en avons fait la conquête, ce