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personnes, et plusieurs s’imaginent peut-être encore aujourd’hui, que la société dont il était le délégué n’avait pas craint d’accepter le patronage de tous les Alsaciens-Lorrains établis en Algérie. De là à considérer cette société comme responsable des mesures bonnes ou fâcheuses prises à leur égard il n’y avait pas loin. Rien de moins juste cependant, et c’était plutôt le contraire qui était la vérité. M. Guynemer, en effet, avait été frappé des inconvéniens de l’éparpillement infini de ces familles réparties un peu partout, dans des villages éloignés les uns des autres, et noyées pour ainsi dire, au milieu de populations de provenances très différentes, françaises, il est vrai, mais dont les habitans de la rive gauche du Rhin ne comprenaient pas tous la langue. L’aspect des habitations, la plupart insuffisantes, quelques-unes presque insalubres, qu’en raison de l’exiguïté des crédits dont elle disposait, l’administration, avait été réduite à construire pour les nouveaux colons, lui avait inspiré de justes inquiétudes. Il s’était surtout ému au spectacle offert par les misérables abris où, vu la presse des premiers momens, et malgré les dangers hygiéniques d’un pareil encombrement, il avait fallu entasser provisoirement et pêle-mêle hommes, femmes et enfans en une sorte de lamentable promiscuité. Enfin, l’oisiveté forcée dans laquelle avaient dû vivre tant d’émigrans, arrivés à n’importe quelle saison de l’année et dépourvus, presque tous, des moindres notions agricoles, en attendant l’époque des premiers travaux de culture, lui était apparue comme la plus funeste des inaugurations pour la vie de labeur à laquelle ils étaient destinés.

Ce fut pour éviter semblables déboires aux colons que la société de protection avait dessein de placer en Algérie sous son patronage direct, qu’au printemps de 1873 son président voulut aller lui-même choisir sur place les terrains que, moyennant certaines conditions, le gouvernement annonçait l’intention de vouloir mettre à sa disposition. Quelles étaient ces conditions ? Comment ont-elles été remplies ; à combien se sont montés les frais de l’entreprise, et quel en a été le résultat définitif pour l’avenir des colons dont la société de protection prenait les débuts à sa charge ? C’est ce que nous allons exposer brièvement. La tentative a été partielle et le champ de l’investigation est restreint. Tout s’est passé au grand jour. Les comptes ont été tenus par sous, mailles et deniers comme s’il eût été question d’une spéculation industrielle. Une publicité étendue leur a été annuellement donnée. Le contrôle est donc ici des plus faciles, et puisque nous nous sommes jusqu’à présent appliqués à rechercher surtout quel est, en chiffres exacts, le prix de revient de l’établissement d’une famille de colons en Algérie, c’est bien l’occasion de le fixer positivement à propos de cette tentative volontairement circonscrite, qui va nous permettre non plus seulement d’approcher