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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 57.djvu/610

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voûte sombre du fleuve souterrain ; au fond, une petite échappée de ciel indiquant l’orifice par où les âmes des morts pénètrent dans l’Hadès. Psyché n’a peut-être pas l’idéale beauté qu’on rêve pour l’amante d’Eros ; la lèvre inférieure et le menton gagneraient par exemple à être un peu plus accentués. Mais ce corps nu est admirable par la pureté du galbe, le choix exquis des formes jeunes, la délicatesse du modelé. Pourquoi le peintre a-t-il enlevé à Psyché ses ailes de papillon et les a-t-il remplacées par une étoile qui scintille au-dessus de son front ? Cette suppression, qui est une grave hérésie mythologique, a l’inconvénient d’inspirer des doutes sur l’identité du personnage à tous ceux qui ont oublié le récit d’Apulée. Pour la plupart des visiteurs du Salon, une jeune fille nue, sans, ailes, et tenant une boîte, n’est pas Psyché, c’est Pandore.

M. Henner joue souvent le même air, mais cet air-là, on le voudrait toujours entendre. La Femme qui lit, dont la pose rappelle celle de la Madeleine du Corrège, c’est la blonde et rousse naïade que nous avons si souvent admirée, émergeant d’un fond de bitume. Quel charme mystérieux dans ce visage voilé par la demi-teinte ! et comme le haut du buste resplendit dans la pleine lumière ! A quelque distance, le contour du dos et des reins prend une netteté si surprenante qu’on le dirait tracé au burin. Regarde-t-on de près, la ligne est bavochée, indécise, flamboyante, puis on ne tarde pas à retrouver sa rectitude sous les feints repentirs. C’est à croire que le peintre commence par marquer les contours avec la dernière sévérité et qu’il y revient ensuite pour les barbeler à petits coups de brosse. Procédé ou non, le résultat est merveilleux. Avec cette adorable Liseuse, M. Henner expose une Tête de religieuse. Ce petit profil, dont le dessin intérieur est précis et où le modelé a une rare fermeté, est un miracle de couleur. Il y a une superposition de noirs intenses qui tient du prodige. Dans les demi-teintes, le voile de la religieuse est déjà d’un noir très profond ; dans les ombres, il atteint au noir pur, au noir le plus absolu que semble pouvoir donner la palette. Or, ce voile si noir s’enlève en clair sur le fond noir. De tout ce qui est noir dans la nature, les noirs d’ivoire et de fumée, le plumage du corbeau, l’asphalte en fusion, la sécrétion de la sèche, le bois d’ébène, le marbre de Lucullus, la nuée d’orage, la nox atra des poètes latins, le gouffre sans fond, rien n’approche de ce noir-là.

L’Alma parens, grande composition de M. Bouguereau, qui représente une femme entourée de neuf enfans, et la Nuit, gracieuse figure du même peintre, qui peut compter parmi ses meilleures, ne nous arrêteront pas. Nous avons dit mainte fois de M. Bouguereau tout le bien et tout le mal qu’il y a à dire de lui. Passons à des œuvres