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choisir ses amis comme il lui plaît ; il ne peut pas fermer sa porte aux personnages importans, qui sont quelquefois des personnages ennuyeux. La situation que Mécène s’était faite lui permettait de ne recevoir que des gens d’esprit. Il réunissait chez lui des poètes et des grands seigneurs. Les poètes lui venaient de tous les rangs de la société ; il prenait les grands seigneurs dans tous les partis politiques. À côté d’Aristius Fuscus et des deux Viscus, qui étaient des amis d’Octave, on voyait Servius Sulpicius, le fils du grand jurisconsulte que Cicéron a tant vanté, et Bibulus, qui était probablement le petit-fils de Caton. On peut se demander si cette fusion des partis, qui amena l’oubli des haines passées, si cette réunion des hommes politiques de toute origine sur un terrain nouveau, qui fit l’honneur et la force du gouvernement d’Auguste, n’a pas véritablement commencé chez Mécène. Parmi les poètes qu’il avait attirés à lui se trouvent les deux plus grands de ce siècle. Il n’a pas attendu pour se les attacher qu’ils eussent produit leurs chefsd’œuvre : il les a devinés à leur coup d’essai, ce qui fait honneur à son goût. Certains détails des Bucoliques de Virgile lui avaient fait pressentir les grandes touches des Géorgiques et de l’Énéide, et, à travers les imperfections des Épodes d’Horace, il avait entrevu les Odes, C’est ainsi que cette maison, qui restait obstinément fermée à tant de grands personnages, s’était ouverte de bonne heure au jeune paysan de Mantoue et au fils de l’esclave de Venouse.

Ces lettrés, ces grands seigneurs devaient mener ensemble une vie fort agréable. La fortune de Mécèae lui permettait de satisfaire tous ses goûts et de donner à ceux qui l’entouraient une large existence. Les curieux de Rome auraient beaucoup souhaité de savoir ce qu’on pouvait faire dans cette société distinguée où l’on ne pénétrait pas ; nous sommes tout à fait comme eux et il nous prend souvent fantaisie d’imiter ce fâcheux qui suivit un jour Horace, à son grand déplaisir, tout le long de la voie Sacrée, pour le faire un peu parler. Nous voudrions obtenir de lui quelques renseignemens sur ces gens d’esprit qu’il fréquentait ; nous fouillons ses œuvres pour voir si elles ne nous apprendront pas de quelle manière on vivait chez Mécène. Malheureusement pour nous, Horace est discret, et c’est à peine s’il laisse échapper de temps en temps quelques confidences que nous nous empressons de recueillir. Une de ses satires les plus courtes et les plus faibles, la huitième du premier livre, nous offre en ce genre un intérêt particulier, parce qu’elle a été faite quand Mécène prit possession de sa maison de l’Esquilin. Ce fut, pour le maître et ses amis, un événement d’importance. Il voulait se construire un palais qui fût digne de sa nouvelle fortune et ne pas le payer trop cher : le problème était difficile, il le résolut à merveille. L’Esquilin était alors une colline déserte et sauvage ;