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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 57.djvu/805

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servaient de moyen d’échange. On y donnait en paiement des chevaux, des bestiaux, des haches, des outils, des clochettes pour le bétail : mais les concessions de terre, dont le prix ne dépassait pas alors un demi-dollar par acre[1], étaient devenues une véritable monnaie courante. Jackson en reçut une quantité considérable à titre d’honoraires ; il en acheta, en revendit et en échangea à des conditions avantageuses, et lorsqu’en 1796 le Tennessee fut admis dans l’Union, il était un des principaux propriétaires fonciers de cet état.

D’autres liens l’avaient à cette époque définitivement attaché à ce pays. Lorsqu’à son arrivée à Nashville, il avait eu à faire choix d’un logement, il avait pris pension chez une dame Donelson, veuve d’un des plus hardis pionniers de la contrée, qui avait, quelques années auparavant, trouvé la mort dans une embuscade d’Indiens. Mrs Donelson vivait avec sa fille, mariée à un habitant du Kentucky, nommé Louis Robarts. Cette dernière était une jeune femme vive, alerte, enjouée et accoutumée dans son enfance à suivre son père à cheval au travers des montagnes du Tennessee ou à manier le gouvernail lorsqu’il descendait le cours du Cumberland pour diriger quelque expédition contre les Indiens. Jackson se plaisait dans la société de sa jeune hôtesse, et quoique leurs relations eussent conservé un caractère irréprochable, si l’on s’en rapporte au témoignage digne de foi du juge Overton, alors pensionnaire de Mrs Donelson, elles éveillèrent la jalousie de l’ombrageux Kentuckien. Il partit pour son pays après une scène violente et donna bientôt à sa femme l’ordre de l’y rejoindre. Celle-ci manifesta une véritable terreur à l’appel de son mari et, au lieu d’y répondre, elle alla s’embarquer sur le Mississipi pour demander un asile à des amis qui habitaient Natchez. Elle se fit accompagner dans ce long et pénible trajet par un vieux colonel, ami de sa famille, et par Jackson, qui devait protéger les voyageurs contre les attaques des Indiens. Ce dernier revint aussitôt à Nashville, se montrant fort contrarié d’un incident qui défrayait toutes les conversations, et manifestant le regret d’avoir involontairement compromis une jeune femme pour laquelle il professait autant d’estime que d’affection. Le bruit sa répandit peu de temps après que la législature, de l’état de Virginie, dont le Kentucky faisait alors partie, avait prononcé le divorce des époux Robarts. Les habitans du Tennessee, peu familiers avec la législation et la jurisprudence des états voisins, ignoraient que, d’après les lois de la Virginie, la décision par laquelle la législature accueillait une demande de divorce n’avait qu’un caractère

  1. 40 ares environ.