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Et quel dîner ! un bon cordial leur était si bien dû ! Ils ont absorbé des décoctions de cuivre, des fricassées de fécule sous toutes les formes, un assortiment de réactifs chimiques, le chromate de plomb, l’arsénite de cuivre, de la brique pilée, de la sciure de bois, de la terre de pipe ! De tels traitemens rendraient malades et paresseux les plus solides estomacs. Soumises à ce régime, des autruches même auraient des gastralgies et deviendraient anémiques. — Il faut donc bientôt avoir recours au médecin, et la pharmacie va achever l’œuvre de la cuisine.

Le médecin commence généralement par ordonner des eaux minérales. Les eaux minérales, d’après les prospectus, sont toujours naturelles. En pratique, elles sont souvent fabriquées ; on fait dissoudre dans l’eau de Seine les carbonates, les phosphates, les sulfures qui sont naturellement en dissolution dans l’eau des sources thermales de l’Auvergne ou des Pyrénées. Cette opération ne contrefait pas l’œuvre de la nature, quelque soin qu’on prenne de combiner les mêmes élémens dans les mêmes proportions. Le même composé chimique peut se trouver sous des formes très différentes. La craie et le marbre sont le même carbonate de chaux. Et quand un chimiste combine la chaux avec l’acide carbonique, il n’obtient ni de la craie ni du marbre. Les états géologiques de la même substance peuvent différer grandement. Les chimistes, qui ne se contentent plus maintenant de décomposer les corps, mais entreprennent de les reconstituer par synthèse, ont pu croire d’abord que la synthèse la plus difficile serait celle des substances organiques. M. Berthelot a rapproché les élémens de l’acétylène, de l’acide formique, même de l’alcool. Au fond, M. Sainte-Claire Deville et ses élèves ont eu tout autant de peine et de mérite à opérer la synthèse d’un minéral, et à contrefaire même les produits de la matière inanimée. Il parait certain que les corps dissous dans les eaux minérales naturelles se trouvent dans un état particulier que la contrefaçon ne saurait reproduire. On ne fait pas de l’eau de Barèges en faisant fondre des sulfures de sodium et de calcium dans l’eau de son puits. En tous cas, on est coupable de vendre l’eau de son puits, ainsi médicamentée, pour de l’eau de Barèges.

Il y a deux ans, pendant une quinzaine de jours, Paris s’est cru empoisonné par les siphons d’eau de Seltz. L’eau de Seltz naturelle est à peu près inconnue à Paris. On achète, pour préparer ce liquide, de petits paquets de poudre de Seltz ou seltzogène : c’est un mélange d’acide tartrique concassé et de bicarbonate de soude. Le danger vient, non pas de ce mélange inoffensif, mais des vases habituellement employés. Il faut se défier des siphons à capuchon de métal. Le métal est très souvent attaqué et le liquide tient en