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l’expérience et l’esprit d’invention ont mises plus tard à sa disposition, mais encore jeune et inconsciente. C’est alors cependant, faible et presque nue, ayant à peine le feu et des armes grossières pour se défendre et se procurer une proie, qu’elle a conquis le monde, s’étendant de l’intérieur du cercle polaire arctique à la Terre-de-Feu, du pays des Samoyèdes à l’île de Van-Diemen, du cap Nord au cap Africain. C’est cet exode primitif, aussi certain qu’inconcevable, aussi avoué par la science que par le dogme, qu’il s’agit d’expliquer, ou du moins de rendre vraisemblable, et cela dans un siècle où ce n’est qu’après les plus merveilleuses découvertes, à l’aide des plus puissantes machines de navigation, moyennant les entreprises les plus hardies et les plus aventureuses, que l’homme civilisé a pu se flatter enfin d’être allé aussi loin que l’homme enfant l’avait fait dans un âge que son éloignement dérobe à tous les calculs.


II

Insistons sur cette pensée, qui servira de base à notre étude, et sur laquelle nous devons d’autant plus appuyer qu’elle met en lumière un obstacle insurmontable jusqu’ici pour ceux qi i se sont efforcés de retrouver le lien des races disjointes, et de déterminer le trajet suivi, lors de leur diffusion, par des tribus que séparent maintenant des mers, des étendues glacées ou des déserts infranchissables ; car enfin si l’homme est un, — et nous sommes portés à le croire, — il faut nécessairement lui assigner un point de départ unique d’où il ait pu émigrer pour se répandre ensuite à la surface du globe.

L’humanité, dans sa marche à travers le temps et à partir du jour où elle a quitté son premier berceau, a certainement obéi à une double impulsion, et de cette double impulsion proviennent à la fois toutes les différences qui la divisent et les supériorités relatives qui distinguent certaines collectivités. Ces traits de supériorité, lorsqu’ils se trouvent condensés sur un point et chez une race, à un haut degré de force et d’intensité, prennent le nom de « civilisation » et conduisent l’homme vers un état de bien-être matériel, de sélection morale, de puissance inventive et artistique, qui peut bien avoir des inconvéniens, mais qui atteste pourtant de quoi l’organisation humaine est capable. L’avenir seul dira si cette direction, une fois ouverte, a des limites ou bien si, malgré des retours en arrière et par des routes très diverses, l’homme n’est pas destiné à s’engager dans une voie de progrès et de découvertes indéfinis.

En résumé, l’homme enfant n’a cessé de s’étendre ; il a pénétré