Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 57.djvu/934

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fût obligé de par la loi à épouser la duchesse de Dustanburgh, qui avait soixante-cinq ans, la goutte, un nez crochu, et qui avait déjà consommé trois maris, morts, disait la voix publique, de langueur et d’ennui. Le comte Edward de Chester était là-dessus du même sentiment que Mlle de Carlyon. C’était un garçon dont l’éducation avait été extrêmement superficielle. Il n’avait guère appris dans son pensionnat qu’à chanter la romance et à jouer au cricket, mais il y avait deux choses qu’il avait découvertes tout seul, sans maîtres et sans livres : il avait très envie d’épouser sa cousine Constance, qui était jeune et belle, et il mourrait en prison plutôt que d’épouser la duchesse, qui était vieille et laide. C’étaient là toutes ses opinions politiques. Elles lui suffirent pour conquérir un royaume.

La noble dame à laquelle Edward préférait le martyre était le plus grand personnage de l’Angleterre par la naissance, la fortune et l’influence. Il va de soi qu’elle était l’adversaire politique de Mlle de Carlyon. Chargez deux femmes éprises du même homme de rédiger le règlement de la pêche à la ligne, elles ne tomberont jamais d’accord ; c’est impossible. La duchesse s’inquiétait peu de la résistance du beau garçon sur qui elle avait jeté son dévolu. Le comte était orphelin ; sa tutrice était la créature de la duchesse ; lui-même, lorsqu’il se verrait placé tout de bon entre la réclusion perpétuelle et le mariage, il ferait comme les ingénues du vieux temps, que leurs parens menaçaient du couvent, il aurait des vapeurs et des crises de nerfs et finalement obéirait. Une fois mariés, la duchesse se chargeait de le mater ; ses trois maris lui avaient donné l’expérience de ces sortes de choses, et les procédés n’avaient pas changé depuis l’École des femmes ; ils n’étaient que retournés. La duchesse s’y prendrait d’abord par la tendresse et la douceur et serait l’épouse la plus indulgente des Iles-Britanniques.


Je te bouchonnerai, baiserai, mangerai ;
Tout comme tu voudras tu pourras te conduire.


Elle aurait soin de ne négliger aucune des séductions de la richesse ; elle lui donnerait, comme aux trois autres, tout ce qu’il voudrait : chiens, chevaux, bonne chère et grand train.


Ta forte passion est d’être brave et leste ;
Tu le seras toujours, va, je te le proteste.


Que si ses soins demeuraient inutiles et que l’ingrat s’obstinât à la bouder, il lui restait la rigueur, et, ventre-saint-gris ! ils connaissaient bien mal la duchesse de Dustanburgh ceux qui s’imaginaient qu’elle hésiterait à en user, dût-elle coiffer une quatrième fois le bonnet de veuve/ Attendez, monsieur le comte, marmottait-elle entre ses dents,