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irrécusables de sa présence dans un âge des plus reculés. M. de Mortillet nomme « chelléenne » l’époque où l’homme européen taillait le silex à grands éclats, associé à des pachydermes géans, aujourd’hui perdus, et antérieurement à la plus grande extension des glaciers. Ces mêmes instrumens se retrouvent en Amérique, dans la vallée du Delaware à Trenton (New-Jersey), plus loin au Mexique, près de Guanajuato, si nettement caractérisés qu’on ne saurait les méconnaître. Leur situation à la base des alluvions quaternaires et leur coexistence avec les éléphans et les mastodontes indiquent la présence d’une race contemporaine de celle des graviers de la Somme, ayant la même industrie, et sans doute les mêmes mœurs et les mêmes traits physiques. Cette race américaine primitive, sœur de celle qui habitait l’Europe à la même date, d’où serait-elle venue, si l’on n’admet pas de communication directe entre les deux continens ? Mais la difficulté de faire voyager de pareils hommes d’un bout à l’autre de l’Atlantique, la certitude qu’ont donnée les sondages de l’ancienneté de l’Océan interposé, enlèvent toute possibilité de croire, soit à une jonction matérielle des deux continens, soit à une découverte de l’un de ceux-ci par voie de navigation, découverte qui serait due à quelque Colomb inconnu, né plus de cent mille ans avant l’autre.

Nous sommes ainsi en présence de ce problème, toujours renaissant et toujours éludé, de l’origine de l’homme américain. Il est évident qu’on ne saurait le résoudre en invoquant, soit une colonisation accidentelle, réalisée à l’aide de certaines peuplades asiatiques, errant d’île en île, soit une barque entraînant de malheureux naufragés ; il s’agit, au contraire, de populations primitives s’ écoulant, comme en Europe, par flots successifs et attestant la présence continue de l’homme dont le développement et l’extension gradués ont suivi en Amérique la même marche que sur l’ancien continent. Cette question pressante, M. de Nadaillac l’examine sous toutes ses faces, mais il inscrit en tête de son livre ces mots qu’il répète en le terminant et qui attestent la difficulté de trouver une solution : « The New-World is a great mystery : Le Nouveau-Monde est un grand mystère. »

L’immigration des Asiatiques ou des Européens, surtout des premiers, qui auraient suivi la route jalonnée par les îles Aléoutiennes et pénétré ensuite dans l’Alaska, aurait pour elle la vraisemblance ; cette hypothèse devrait même prévaloir si la certitude de la présence, dès l’âge quaternaire, d’une population américaine autochtone ne la réduisait aux proportions d’un fait secondaire. Il en est de même des rapports contradictoires, il est vrai, et, par conséquent, suspects, qu’on s’est efforcé d’établir entre les monumens, les statues, les signes graphiques de l’Amérique centrale et ceux de l’antique Égypte