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A l’époque où Jean Ciudad opérait une si profonde modification dans les habitudes hospitalières, sa perspicacité chrétienne était en avance de deux siècles et demi sur « les amis de l’humanité. » Il avait souffert à l’hôpital royal lorsqu’il y était fouetté ; il s’en est souvenu et les malades en ont profité. C’est alors qu’il adopta le nom de Jean de Dieu. Ce nom, il l’a rendu immortel en lui donnant la plus enviable des illustrations, celle de la charité.

Faire du bien dans ce monde et assurer son salut dans l’autre, c’est de quoi tenter les cœurs animés par la foi. L’exemple de Jean de Dieu provoqua l’émulation ; des hommes de bon vouloir s’offrirent à lui pour le soulager dans son œuvre de miséricorde. Il les façonna à leurs fonctions nouvelles et devint ainsi le directeur d’un groupe qui, en se multipliant, devait être la grande congrégation hospitalière où tant de misères physiques et morales ont été secourues. Les nouveaux compagnons de Jean faisaient comme lui, recueillaient les infirmes, soignaient les malades, pansaient les blessés, servaient cette famille de délaissés, la nourrissaient et mendiaient pour elle. Les aumônes ne faisaient plus défaut ; souvent elles étaient magnifiques : deux cents écus d’or en une seule fois. Jean de Dieu, confiant en partie le gouvernement de son hôpital aux nouveaux infirmiers qui l’assistaient, semble dès lors s’être consacré à la quête, qu’il commençait chaque jour à dix heures du matin et prolongeait souvent jusqu’à onze heures du soir. Il avait étendu son champ d’action ; non-seulement il sortait de Grenade pour parcourir l’Andalousie, mais il allait jusqu’en Castille. Les grands seigneurs, les gens riches se faisaient un honneur de remplir son escarcelle, de concourir à ses fondations et de s’associer aux œuvres qui, pour les âmes ferventes, ouvrent l’espoir des récompenses futures. La populace, qui l’avait conspué jadis, le regardait avec admiration ; on se signait quand il passait et l’on disait : Voici le saint !

Les ressources mises à sa disposition lui permirent de réaliser son rêve d’autrefois et de construire un hôpital pour y soigner les malades « comme il convient. » Là encore il fut un précurseur, et le premier, bien avant la science expérimentale, il comprit que l’on doit catégoriser les malades et les diviser selon le genre d’affection dont ils sont atteints. Séparer les maladies sporadiques des maladies contagieuses, dans un temps où les fébricitans, les pestiférés, les amputés, les varioleux, les fous vivaient dans un pêle-mêle épidémique et empoisonné, quelle innovation ! On peut dire