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chercher chicane ou de les déranger dans leur travail, il serait le premier à recommander à la protection du foreign office ces gens de peu, avec qui il ne se soucie pas d’échanger des shake hands. Ce n’est pas ainsi que raisonnent tels de nos députés. Si on les écoutait, nous retirerions dès aujourd’hui notre protection à nos missionnaires catholiques. C’est cependant le propre d’un homme d’état que de savoir tirer parti de tout, même de ce qu’il n’aime pas, et le jour où la France ne saurait plus se servir de ses lazaristes, de ses capucins ; même de ses jésuites, pour faire ses affaires dans le monde, il serait prouvé qu’elle a perdu tout sens politique, que ses intérêts permanens lui sont moins chers que ses opinions d’un jour. Aussi bien que la superstition, la libre pensée a ses fanatiques ; il en pousse partout, dans les laboratoires de physiologie comme dans les sacristies, et tout fanatisme est un abêtissement.

Une nation doit savoir se servir de ses missionnaires, mais elle se doit aussi à elle-même de les surveiller, de les tenir en bride, de réprimer dans l’occasion l’indiscrétion de leur prosélytisme. Ils sont fort utiles, mais ils peuvent devenir dangereux. Avec les meilleures intentions du monde ; ils ont l’esprit contentieux, querelleur et des ambitions envahissantes. Une fois installés, il ne leur suffit plus d’être tolérés, ils deviennent intolérans ; il ne leur suffit plus d’être consultés, ils parlent en maîtres, leurs conseils sont des ordres. Toute résistance qu’ils rencontrent les indigne comme une impiété, et, si on les laissait faire, ils mêleraient leur gouvernement à leurs querelles personnelles, ils l’engageraient dans1 de fâcheuses intrigues. Après avoir prêcher Jésus et la paix, les missionnaires anglais de Madagascar ont soufflé la dispute et la guerre. Ayant eu le bonheur de convertir les Hovas, ils les ont encouragés à réduire leurs voisins en vasselage. Quiconque touche à leurs catéchumènes entreprend contre le Seigneur, et le jour où les Hovas, méconnaissant nos droits, se sont brouillés sans façon avec nous, ils ont passionnément épousé leur cause et leur injustice. Les députations que la société des missions de Londres a envoyées à lord Granville lui ont remontré que le gouvernement britannique manquerait à tous ses devoirs s’il ne protégeait pas contre toute atteinte l’œuvre de Dieu et de ses serviteurs. S’il n’avait tenu qu’à ces orateurs indiscrets et prolixes, l’Angleterre et la France auraient réglé cette question à coups de canon. Heureusement, lord Granville, qui sait se servir des missionnaires, sait aussi résister aux intempérances de leur zèle : Il les a poliment écoutés ; mais, quel que fût son désir de leur être agréable, il les a poliment éconduits.

On ne peut en vouloir aux missionnaires anglais de souhaiter que les Hovas soumettent à leur empire tout Madagascar, qui est la