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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 58.djvu/449

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considération que Félicien David a précédé d’un bon quart de siècle M. Detibes, dont il est du reste un peu le père en orientalisme. Si l’on aimait les analogies, on en trouverait ainsi plus d’une ; talens épisodiques tous les deux, moins dramatiques que lyriques et contemplatifs, celui-ci avec ses symphonies, l’autre avec ses ballets, côtoyant et contournant le théâtre au lieu d’y aborder franchement. Chez Félicien David, l’évolution fut plus interne ; jamais l’ombre de théorie, aucune information de ce qui réussissait au dehors ; c’était un innocent, un mystique, le saint François d’Assise de la musique : « Petits oiseaux mes frères, roses mes sœurs, idées, ma vie et ma lumière : omnis beatitudo nostra ! » Tel nous l’avons connu, affectueuse, attendri, sympathique aux choses d’art, de science et d’humanité, la plus belle âme qui se puisse voir et toute pleine de résonances divines qui, vaguement, vous rappelaient Mozart, de même que son inconscience générale vous faisait penser au saint de la légende. Méhul cultivait les tulipes ; lui, c’étaient les roses. Il en avait un jardinet éblouissant, et comme je passais alors mes étés à Montmorency, je lui portais des greffes que je prenais chez mon voisin, un célèbre horticulteur de ce temps-là, qui s’appelait Duval. Nous déjeunions ensemble ; après quoi, il se mettait à son piano et me jouait les Hirondelles, la Rêverie, la Mélodie-valse pour piano, vendues jadis en bloc à un éditeur de Lyon pour la somme de 75 francs, soit 25 francs par ouvrage, ce qui naturellement ramenait à me raconter les premières années de sa vie d’artiste.

Celui-là pouvait parler de la misère pour l’avoir connue et surmontée avec courage. Resté de bonne heure orphelin et sans fortune, il s’était mis en campagne sur la foi d’une vocation qui s’annonçait par d’heureuses facultés, courant la Provence et ses maîtrises, enfant de chœur à Aix aussi longtemps que sa jolie voix de soprano le lui permit, et bientôt, la Mlle étant venue, s’acheminant d’étape en étape vers le Conservatoire, où Cherubini le fait entrer. Étudier la composition et l’art du clavier sous des professeurs éminens est certes un grand avantage ; mais la question du pain quotidien, comment la résoudre ? « Moi ! s’écriait-il plus tard, je soutiens que la misère tue l’imagination. » La misère ne tua point chez lui le don de créer, mais elle avait un par l’induire en réflexions philosophiques sur l’état dès sociétés ; de telle sorte que le saint-simonisme arrivant le trouva tout préparé. « A chacun selon sa capacité, à chaque capacité selon ses œuvres. » Cette doctrine le tenta, et, pour décider l’impulsion, il lui suffit de reconnaître quelques-uns de ses amis parmi les propagateurs de la foi nouvelle.

Quelques amis ! c’était déjà un auditoire dans le présent, et, dans l’avenir, quelle gloire d’avoir inventé le type liturgique d’une