« J’ai peur ! » Elle a peur, elle aussi, mais sa peur est raisonnable, car tout la sépare de son héros ; lorsqu’il lui parle de leur amour, elle le détourne de ce cher entretien :
- L’espoir s’envolerait au bruit de nos paroles !
Il la rassure : il est vainqueur, il aime, il imposera son choix ; il la presse avec tant d’ardeur qu’elle se recule, et pudiquement murmure :
- Pas si près, monseigneur ! je pourrais vous entendre !
D’autres aussi pourraient l’entendre : La Moussaye, qui revient avec la marquise et rapporte cette nouvelle qu’au Louvre la cabale de Beaufort clabaude contre Condé. La victoire du jeune prince le grandit trop au gré des courtisans ; ils prétendraient pour un peu qu’elle est séditieuse. En vain Condé a envoyé son fidèle Gassion ; il faudrait que lui-même allât rendre hommage à la régente. Il s’y refuse pourtant et reste seul avec Voiture, chétivement représenté par M. Joliet, — qu’il prie d’occuper le théâtre en sa compagnie et de lui réciter un sonnet par manière d’intermède jusqu’à sa grande scène avec Gassion.
Cette façon d’ent’racte dure peu ; Gassion est tout prêt dans la coulisse. Il se précipite, le bon colonel à moustache grise, pour emporter son jeune général chez la reine. Il n’est que temps ! Si Condé ne paraît sur-le-champ au Louvre, Turenne obtient les deux commandemens de Flandre et d’Alsace. — Ah ! s’écrie Condé, c’est ainsi qu’on me paie ! .. Rapidement il cite quelques précédens, quelques exemples de guerriers que l’ingratitude royale a dégoûtés du service de l’état et qui sont passés à l’étranger ; il en trouve dans sa famille, — il le dira magnifiquement tout à l’heure :
- Dans mes veines je sens de terribles aïeux !
Sa résolution est prise, il mettra son épée au service de l’Espagne ; et, — comme s’il prévoyait le parallèle que Bossuet établira dans son oraison funèbre, ou celui de Saint-Evremond, — à Gassion qui se désole il répond avec ironie :
- Ce sera bien plus beau : Condé contre Turenne !
« Ah ! je le sauverai ! » s’écrie Gassion, et pour commencer, il se sauve ; comme il sort par une allée, Mlle du Vigean rentre par l’autre.
« Élise, m’aimez-vous ? » demande vivement le prince, tout de même que don Diègue à son fils : « Rodrigue, as-tu du cœur ? » C’est qu’il s’agit, en effet, d’avoir du courage, et non plus seulement de l’amour,