l’instinct qu’après le dénoûment de la crise nationale, la crise intérieure allait devenir plus vive, plus aiguë, qu’il y avait définitivement, ainsi qu’on le disait, quelque chose à faire. M. Thiers lui-même, comme tout le monde, plus que tout le monde, comprenait qu’il était impossible d’aller plus loin sans prendre une résolution, sans créer des institutions, de prolonger un provisoire toujours disputé ; il le sentait au frémissement des partis, qui justement pendant ces vacances parlementaires de l’automne de 1872 s’agitaient autour de lui, les uns se répandant en manifestations, multipliant les pèlerinages de dévotion religieuse ou monarchique à Paray-le-Monial ou à Lourdes, les autres levant le drapeau du radicalisme républicain. M. Thiers, pour lui, était décidé, il avait son opinion qu’il ne déguisait guère toutes les fois qu’on le provoquait à s’expliquer; mais il savait aussi qu’il ne pouvait rien s’il ne réussissait d’abord à convaincre l’assemblée, à dégager des divisions du parlement une majorité prête à le suivre jusqu’au bout, et avec l’idée qu’il se faisait du gouvernement, il ne reculait pas devant une initiative propre à rallier cette majorité en lui offrant une occasion de se manifester, si elle existait. C’est l’origine ou le secret du message du 13 novembre 1872, de ce message que le président de la république se chargeait d’aller lire lui-même à l’assemblée au début d’une session nouvelle, qui n’était en définitive qu’une grande tentative pour obtenir des partis, avant tout de la droite, un acte de raison, de transaction devant la nécessité des choses.
Tout avait été médité et pesé dans ce message, qui allait avoir un si soudain retentissement et mettre un moment le feu à une situation, quoiqu’il n’offrît rien de nouveau. M. Thiers, en réalité, ne faisait que reproduire, préciser et accentuer ce qu’il avait toujours dit lorsque, décrivant l’état de la France, la reconstitution de ses finances et de son armée, le réveil de son crédit, les progrès de sa libération, et, approchant de ce qu’il appelait « les sujets brûlans du jour, » il ajoutait : « La république existe, elle est le gouvernement légal du pays ; vouloir autre chose serait une révolution et la plus redoutable de toutes. Ne perdons pas notre temps à la proclamer; mais employons-le à lui imprimer ses caractères désirables et nécessaires. Une commission nommée parmi vous il y a quelques mois lui donnait le titre de république conservatrice : emparons-nous de ce titre et tâchons surtout qu’il soit mérité. Tout gouvernement doit être conservateur et nulle société ne pourrait vivre sous un gouvernement qui ne le serait pas. La république sera conservatrice ou elle ne sera pas!.. Deux années écoulées sous vos yeux, sous votre influence, sous votre contrôle, dans un calme presque complet, peuvent nous donner l’espérance de fonder cette république conservatrice, mais l’espérance seule. Et qu’on ne l’oublie